Figure de proue des cinéastes de la Cinquième Génération, au même titre que Zhang Yimou, Chen Kaige a bénéficié en même temps que ce dernier des faveurs du public et de la critique occidentale à une époque où le cinéma chinois renaissait littéralement des cendres de la Révolution culturelle. Leurs succès respectifs et leur consécration internationale ont poussé les deux homologues dans des situations extrêmes puisque assez rapidement les oeuvres prometteuses de leur début ont cédé la place à d’énormes coproductions boursouflées destinées à des carrières festivalières de prestige et au marché international. Aujourd’hui, l’oeil du spectateur vigilant a tendance à se river sur leurs cadets, les nouveaux venus de la Sixième Génération (Ke Jia Zhang, Fruit Chan, Liu Bingjian, etc.) qui pratiquent un cinéma plus radical, moins narratif, le plus souvent dans des conditions précaires en tentant d’échapper à la censure. Il serait pourtant injuste de mépriser L’Empereur et l’assassin, qui nous parvient enfin (en raison de récentes surprises asiatiques au box-office ?), plus d’une année après sa présentation à Cannes où il avait obtenu le grand prix de la Commission technique.
Comme dans Adieu ma concubine, Chen Kaige mise ici beaucoup sur une direction artistique de haut niveau qui, des costumes aux décors, paraît irréprochable. Volonté de grand spectacle affichée donc pour l’un des tournages les plus chers et les plus longs de l’histoire de la Chine, sorte de Ben Hur oriental auquel auront collaboré des milliers de figurants. Assez curieusement, cette surenchère de moyens ne paralyse pas l’auteur du film qui, s’il n’abandonne pas les velléités esthétisantes qui ont toujours été les siennes, ne sombre pas non plus dans l’académisme. En s’appuyant sur un matériau dramatique solide et documenté (le projet d’unification de la Chine au iiie siècle avant Jésus-Christ par l’empereur d’un des sept royaumes alors concurrents), L’Empereur et l’assassin trouve un souffle épique et tragique qui, dans les rapports qu’il tisse entre le Pouvoir et l’Humain évoque le Shakespeare du Roi Lear ou de Richard III. Alors qu’Adieu ma concubine péchait par sa préciosité et ses lourdeurs, ce drame de près de trois heures, en dépit d’un montage parfois incompréhensible, impose son rythme en grande partie grâce à la densité et à la puissance de son sujet.
La fresque guerrière rejoint l’écartèlement intime et Chen Kaige trouve l’occasion de déployer à plusieurs reprises un véritable lyrisme qui porte son discours. A travers quelques scènes éparses d’une incroyable violence (où il confirme par ailleurs une inclinaison quasi sadienne vis-à-vis des enfants qui affleurait déjà dans Adieu ma concubine), il parvient même à déstabiliser l’énorme machinerie dont il tient les commandes et à créer, çà et là, un climat curieusement peu conventionnel. Sans crier au chef-d’oeuvre -le film a ses défauts-, il convient pourtant de saluer une forme de talent, certes un peu figé et classique, mais qui, en adéquation avec un propos fort, s’incarne ici assez brillamment.