Ces dernières années, la croyance en un récit pur et dur s’est raréfiée au sein du meilleur cinéma français, et cela au profit d’un formalisme inspiré (Claire Denis, Gaspar Noé, Philippe Grandrieux…) dont on ne saurait se plaindre. Pourtant, quelques auteurs se font encore les fers de lance d’un art de la narration, un art qui ne s’encombrerait pas d’une véritable rhétorique plastique et préférerait se concentrer sur les vertus d’un scénario efficace. Auteur de quatre courts métrages inégaux, Olivier Jahan (à ne pas confondre avec Olivier Dahan, réalisateur de Déjà mort) est de ceux-là. Faites comme si je n’étais pas là, son premier long, repose ainsi sur un indéniable et communicatif plaisir de raconter, sans message ni discours révolutionnaires, mais aussi sans esbroufe. Raconter une histoire, tout simplement. Et une bonne, tant qu’à faire.
Eric (Jérémie Rénier), un lycéen, passe son temps à mater, jumelles en main, les voisins de son HLM. Quasi autiste avec son entourage, l’adolescent communique seulement par le biais de messages inquiétants glissés dans les boîtes aux lettres de ses « victimes » afin que ces dernières se sachent observées. Au cours de ses traques voyeuristes, Eric prend un malin plaisir à noter les comportements étranges de certains, leurs crises et leurs failles, réinventant chaque jour son propre petit théâtre fantasmatique. Lorsque Tom et Fabienne (Sami Bouajila/Alexia Stresi) s’installent dans l’appartement d’en face, la vie d’Eric prend une nouvelle dimension…
Comment un postulat assez quelconque aboutit à un film si prenant ? En premier lieu, grâce à l’efficacité de la construction dramaturgique. Fort d’une gradation sensuelle et sous tension, Faites comme si… parvient à instaurer un climat troublant, où prime l’ambiguïté du désir d’Eric, dont on ne cesse de se demander sous quelle forme il finira par éclater. La séquence tant attendue (et comme il se doit très tardive) tient d’ailleurs toutes ses promesses en un apogée érotique qui parviendra sans mal à réveiller la libido des spectateurs les plus engourdis par l’hiver. Mais le talent de Jahan ne se limite pas à l’exploration sombre et violente d’une sexualité en devenir. Le cinéaste s’immerge avec la même attention dans des histoires parallèles, comme celle de la mère d’Eric (la toujours sublime Aurore Clément), grande dépressive nantie d’un pauvre type qui peine à la faire rêver. Ou encore celle, plus énigmatique, de Tom et Fabienne, jeune couple aussi libre que fragile. Conteur hors pair, Olivier Jahan sait faire exister le moindre de ses personnages, incarnés il est vrai par une belle brochette de comédiens. Excellente fiction, ambiance soignée, acteurs parfaits : en somme, de l’artisanat dans le meilleur sens du terme.