« Quelle originalité ! Quelle imagination ! Quel humour corrosif ! », ne manquerait pas d’entendre l’observateur attentif épiant les spectateurs tout droit sortis du dernier film du fraternel duo du cinéma d’auteur d’outre-Atlantique. On sait depuis longtemps à quoi s’attendre concernant leurs films, et là, pas de surprise, la recette n’a pas changé : des personnages outranciers et caricaturaux, un zeste de violence, trois mamelons de poitrines féminines ( point trop n’en faut quand même), trois gouttes d’humour (gras de préférence) et le tour est joué. Pourquoi une telle hargne envers ces sympathiques marmots du pays de Bill Gates, me direz-vous ? Si le cinéma des frères Coen n’a jamais vraiment évolué, leurs prétentions narratives semblent définitivement les avoir perdus. Tant que nos deux gaillards se cantonnèrent dans le film de genre (film de gangsters avec Miller’s crossing, thriller noir avec Blood simple), ils réussirent de fort bons exercices de style. Depuis, les choses se gâtent.
Alors qu’il est tranquillement à prendre son bain, Jeffrey Lebowski, dit » The Dude » par ses compères, voit débarquer dans son modeste taudis une bande de petits malfrats. S’étant rendu compte qu’ils n’étaient pas chez l’homme qu’ils cherchaient -un riche homme d’affaires- mais chez son malheureux homonyme, ils s’en prennent au tapis de notre héros avant de quitter les lieux. Notre bonhomme se sentant quelque peu lésé, se rend chez son respectable homonyme lui demander un tapis neuf. Il ne tarde pas à se faire vider du lieu. Mais peut après on le rappelle : la jeune et pulpeuse femme du Lebowski-homme d’affaires s’est faite kidnapper ; il est chargé des transactions. De cette intrigue policière, les Coen ne cherchent pas à exploiter les rebondissements ; en fait, elle est plutôt un prétexte à développer des personnages. Qu’en est-il alors de ces derniers ?
Il y a le chômeur nonchalant, notre bien-aimé héros, le copain un peu brutal mais ancien du Vietnam, alors on lui pardonne, le brave acolyte toujours à côté de la plaque -on s’en doutait-, ils sont tous trois grands amateurs de bowling et célibataires, -ce qui va souvent de pair-; et les méchants sont, comme il se doit, d’origine plutôt germanique ou asiatique, un peu efféminés, et toujours horriblement cruels. L’absence totale de progression dans l’intrigue relègue le film à une série de blagues assez vite lassantes. Les Coen semblent plus intéressés à faire rire les spectateurs aux dépends de la bande d’idiots profonds qu’ils nous montrent, et à flatter en passant leur égo, leur supériorité sur les personnages étant acquise, que de construire une continuité narrative un tant soit peu cohérente. Quant à la mise en scène, elle est strictement employée à appuyer les caractères caricaturaux des personnages et le grotesque de leurs actes. Le semblant de critique social, -il s’agirait de se moquer de ces riches besogneux assoiffés de réussite, des artistes prétentieux, coupés de toute réalité, et de glorifier l’humain désoeuvré et la simplicité de nos compères-, se résume à des clichés vides de sens et tourne cours en plongeant dans une morale plutôt douteuse. Le clou du grotesque étant atteint dans une allusion au vétéran taré, et dont on aura du mal à saisir la raison, le camarade Vladimir Illitch Lénine. Si l’on attendait des marmots d’Hollywood un film au moins distrayant, on n’aura que les pensées confuses de deux têtes blondes incapables de sortir de leur monde chimérique.
Car ceux qui, au non de la toute puissance de l’imagination, viendraient défendre le film oublieraient que celle-ci n’a de valeur que dans le rapport direct qu’elle peut établir avec le monde. Qu’un film ne renvoie qu’à lui-même ne prouve que la nullité de sa valeur, la vanité de son existence. « Heureusement qu’il y aura toujours des gens comme ce vieux Lebowski, qui ne changeront jamais », dit un personnage pour clore le film, tout comme les Coen resteront toujours ces adolescents sur le retour, ajouterons-nous. Car ne devrait-on pas, à l’image du Monsieur Keuner de Brecht, frémir à l’idée d’entendre quelqu’un nous dire « Tu n’as pas changé » ?