Avec La Grande Musique, les Little Rabbits creusent le sillon ouvert avec Yeah ! La grande musique se décline en français dans le texte, dans une forme libre et décousue. Le groupe quitte peut-être définitivement ses oripeaux pop et tentent de développer un univers plus personnel et tranché que par le passé, à l’instar du Katerine de L’Homme à trois mains / Les Créatures. Sans doute encore sous le charme de la formule utilisée pour l’album précédent, les Little Rabbits ont réemprunté l’axe Nantes / Tucson, soutenus de nouveau par MC Jim Waters aux manettes. On se retrouve aussitôt en terrain connu avec Dans les bras d’une autre, Alpha romeo super sprint et surtout Des hommes, des femmes, des enfants et le sexe qui rappelle immanquablement l’inusable La Piscine : un groove appuyé par un orgue seventies sert de prétexte à des joutes verbales maniérées entre un garçon volontiers irritant et une Anglo-Saxonne chargée d’énumérer une liste de réponses plus ou moins décalées et posées. Le savoir-faire est incontestable, et il faut reconnaître que les Little Rabbits s’y entendent à recycler le Ford Mustang de Gainsbourg sous toutes les formes possibles et imaginables.
Toujours est-il que cet album ne bénéficie pas de l’effet de surprise créé par Yeah ! et pèche un peu par son côté prévisible, même s’il est globalement plaisant. Sur le canapé ou Des hommes, des femmes, des enfants et le sexe récoltent forcément le suffrage mais sonnent déjà un peu comme des clichés ou des tics chez les Little Rabbits. Par ailleurs, l’album mériterait d’être débarrassé de quelques scories maladroites, tel ce J’ai faim dont les tentatives humoristiques ne rattrapent pas tout à fait un propos vulgaire ou ces instrumentaux à répétition (Monkey planet part 1 et Monkey planet part 2) qui, à défaut d’ambition, paraissent un peu gratuits ou bouche-trou. La Grande Musique, le morceau-titre, est celui qui finalement l’emporte puisqu’il est le seul qui se pose comme réellement transgressif, débarrassé de tout impératif esthétique, avec une intention affichée de se lâcher et de secouer l’auditeur. Première phrase : « Ecoutez tous, bande de cons », le ton est cru (assez inédit dans le domaine pop hexagonale). On pourrait quasiment faire le parallèle avec le Je vous emmerde de Katerine qui en avait surpris plus d’un l’année passée. La Grande Musique est une sorte d’hymne haineux, suffisant et agressif conduit par un esprit adolescent ; on grimpe volontiers à bord de leur engin de la mort « avec une poule ou deux qu’importe (…) plus ou moins tous bourrés ». Par son côté free et seventies, le titre pourrait être aussi la version actualisée du Chrysler rouge de Dashiell Hedayat qui rencontrerait le Crash de Ballard. On se prend à regretter que les Little Rabbits n’aient pas tenté d’approfondir cette voie ou d’autres plutôt que de jouer la carte de la séduction assurée.
Au final, ce nouvel album a de quoi ravir les fans, sans faire nécessairement de nouveaux adeptes. A défaut de parvenir au climax, on reste un peu sur sa faim malgré quelques réussites indéniables. La Grande Musique nous pose un (petit) lapin, mais on est prêts à attendre avec Alice son retour…