Après avoir fait couler beaucoup d’encre lors du dernier Festival de Cannes, l’onde de choc Funny games atteint aujourd’hui les salles. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette sortie n’a pas fini, elle non plus, de faire parler d’elle. A cause du contexte déjà, qui veut que le film de Michael Haneke sorte la même semaine que The End of violence de Wim Wenders (voir nos pages magazine), mais surtout à cause du terrible malaise que ce film ne manquera pas de provoquer tant ses images et son propos apparaissent dérangeants. Car Funny games est un film violent, terriblement violent même. Sûr que cette histoire d’adolescents tortionnaires (à la demande du réalisateur, nous ne dévoilerons rien de l’histoire) en glacera plus d’un. Mais il serait réducteur et facile de ne retenir que cet aspect brutal du film.Car on voit bien ce qui a pu motiver Michael Haneke en réalisant Funny games. Dénoncer la violence, mais aussi, et surtout, l’hypocrisie de ceux qui s’en repaissent- dont nous, public toujours plus friand d’hémoglobine- en la légitimant par de savantes démonstrations. Mieux, Haneke veut s’attaquer à ceux qui sous prétexte de dénoncer la violence, s’en donnent à cœur joie dans la surenchère et la complaisance. Pour appuyer sa démonstration, le cinéaste autrichien, réalisateur en 1994 du passionnant 71 fragment d’une chronologie du hasard, s’amuse à déstructurer la trame classique d’un thriller en en réfutant les règles de bases. Règles qui par exemple veulent qu’on ne s’attaque violemment ni aux enfants ni aux animaux. Ou qui trouvent toujours une explication plus ou moins crédible pour justifier les actes du tueur.En malmenant ces conventions Haneke n’a qu’un but, en partie atteint, déstabiliser le spectateur en le prenant au piège de sa propre soif de violence et surtout, en ne lui fournissant pas la possibilité de se réfugier derrière un quelconque alibi, apaiseur de conscience, de justifier sa complaisance.Ici, pas de justification donc, ni de réponses fabriquées à la terrible, mais trop facile question, pourquoi ? A elle, Haneke, répond pourquoi pas ? Et c’est sans doute cela qui frappe le plus dans Funny games, cette absence totale de repères qui vous rend passif et complice des images qui défilent devant vos yeux. Et Haneke introduit ici un deuxième champ de réflexion. Avec un personnage qui s’adresse directement aux spectateurs pour leur demander s’il en veulent encore, ou leur faisant un petit clin d’œil de temps à autre, Funny games se veut une parabole sur le jeu ambigu réalité/fiction dans la représentation de la violence. Dans un récent essai intitulé Violence et média, le réalisateur autrichien écrivait : « La représentation de la violence fictive est condamnée à la surenchère du fait de la concurrence provenant de la représentation de la violence réelle. » Sur ce terrain, Haneke rejoint Mathieu Kassovitz qui avec La Haine, s’était lui aussi attaqué à la déréalisation de la violence et à son impact sur un public de plus en plus passif.Mêmes idées certes, mais aussi mêmes défauts. Car passée la première heure, Funny games finit par ne plus toucher. Trop c’est trop ! Et passé le choc initial, c’est l’indifférence face aux images qui prend place. Une indifférence qu’il serait trop simple de résumer par des formules types- genre « beaucoup de bruit pour rien » ou « tout ça pour ça »-, mais on ne peut s’empêcher de trouver la démonstration trop jusqu’au-boutiste et surtout, elle même un peu trop voyeuriste. On reste enfin un peu sceptique sur le discours moralisateur de Haneke qui déclarait récemment, à propos de Beavis et Butt-Head (les deux personnages de son film se surnomment ainsi) : « Pour moi [ils] sont des personnages négatifs, violents. Et ce qui m’effraie le plus, c’est qu’on les présente comme des figures modèles auxquelles toute une génération peut s’identifier. C’est typique, nocif, fatal. »
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