Fort du succès du Sixième Sens, dont l’horreur feutrée et intimiste avait conquis le grand public, M. Night Shyamalan a cru bon de persévérer dans la veine qu’il a lui-même initiée. C’est le danger de ces seconds films, une fois que le réalisateur s’est laissé persuader par de mauvais conseillers (sans doute ces producteurs sans imagination, toujours prêts à re-tenter le coup) que son « style » est inimitable et qu’il est impératif d’enfoncer le clou aux yeux du public. La belle maxime de Truffaut (« faire un film contre le précédent ») paraît alors bien exigeante, mais finalement nécessaire.
La formule de Incassable semble d’ailleurs énorme : Bruce Willis est remis à contribution dans le rôle du pauvre type à qui il arrive l’impossible, et qui survit alors qu’il n’aurait pas dû. On flaire le coup à la seule lecture du dossier de presse étayé d’anecdotes « véridiques » puisées dans la mémoire des nations, censées avoir inspiré le sujet du film. Genre : un type est le seul survivant d’un incendie dans une plate-forme pétrolière, une fillette de six ans est sauvée de la noyade par un inconnu qui disparaît aussitôt, etc. Tout ça pour nous mettre l’eau à la bouche sur ces « incassables », ces gens capables de survivre à tout, et qui semblent prédisposer à devenir des super-héros, ne serait-ce que pour un seul exploit. David Dunn est de ceux-là. Seul survivant d’un terrible accident de train, il rentre chez lui dans un état second, retrouve sa femme dont il est sur le point de se séparer, et son fils, fasciné par ce père à l’image des Big Jim qui peuplent sa chambre. Jusqu’ici tout va bien, si l’on peut dire. C’est alors qu’un mystérieux personnage, Elijah Price (Samuel L. Jackson), le genre manteau de cuir et canne de verre, fait irruption dans sa vie. Elijah, collectionneur de gravures représentant des héros de comics, est fasciné par David pour une bonne raison : ses os à lui se brisent tout le temps, et il cherche depuis longtemps son alter ego, celui qui serait « incassable ». Il se met en devoir de révéler à David sa vraie nature et la mission qui lui incombe.
A ce moment du film, une séquence captivante, tranchant sur le reste, nous montre ce soi-disant héros à l’œuvre. Capable, par un mystérieux super-pouvoir, de prédire les méfaits de quelqu’un rien qu’en le touchant, David suit un meurtrier et parvient à empêcher son crime. Belle scène angoissante, pleine d’hébétude et de poésie sombre, qui vaudrait presque à elle seule la vision du film. Passée l’exaspération que provoquent les effets d’auto-citation (plutôt gonflé dans un deuxième long métrage !), on est alors enclin à l’indulgence. Malheureusement, la suite est en chute libre : le personnage de Elijah, frisant le ridicule depuis le début, devient de plus en plus bidon, et une fin « surprise » laisse tout en plan au moment où on commençait à y croire. La déception est totale : sujet bizarre, scénario fumeux, réalisation prétentieuse. M. Night Shyamalan, s’il sait faire de la mise en scène, devrait peut-être se contenter de faire de bons films et cesser de jouer les cinéastes.