C’était la fin des années 70. Le Marché allait rattraper en les sacrifiant les ardeurs déviantes des musiciens qui ne s’étaient pas contentés de croire en une liberté fraîchement trouvée mais entendaient bien poursuivre une aventure voulue rien moins qu’éphémère. Il allait falloir s’armer. En 1976, Andrea Centazzo, batteur-percussionniste des plus passionnants d’Italie créa Ictus à la seule fin d’offrir une bande obstinément refusée par toutes les compagnies contactées. S’ensuivit un catalogue précieux réédité aujourd’hui avec bonheur et dont il est naturellement le centre. Epris d’espace, de sons cuivrés et métalliques surtout, d’une approche minimale -extrêmement orientale dira-t-on-, il a trouvé en Coxhill et Koglmann des compagnons qui partagent avec lui un goût des formes dépouillées, d’une organisation presque rituelle des sons : ceux-ci semblent s’enchaîner, se répondre, se courtiser en tournant autour d’un noyau de silence comme autour d’un tatami sacré. Le saxophoniste anglais séduit par sa grande élégance. Proche de Lacy, autre partenaire d’élection de Centazzo, il sertit chaque note comme une perle en de méticuleux aphorismes mélodiques, fait sonner le soprano comme s’il était la musique en soi. On ne connaîtra mieux le trompettiste autrichien qu’un peu plus tard, lorsque Hat Art s’évertuera à publier des opus devenus indispensables à toute paire d’oreilles que l’intelligence n’effraie pas. Il offre à Coxhill un miroir précis qui traduit en une matière d’un autre grain cette même délicate attention à faire jaser le silence. On pense un instant à cette gémellité de Leo Smith et de Braxton, sereine, épanouie, radieuse. Le percussionniste ne fait jamais deux choses à la fois : il égrène posément des sons simples où la longue résonance des gongs équilibre une peau sourde frappée sèchement, il joue du vide qu’il magnifie, sculptant des volumes, équilibrant le trapèze des forces. La digitalisation de l’enregistrement rend à la musique ce que les contraintes économiques lui avaient jadis ôté : les pauvres vinyles d’antan ne lui rendaient pas justice. Ces sept Situations inédites sont une aubaine. Elles forment un pendant à la série des Moots #2, #3, #4, #5 (c’était en 1978 le volume 8 du catalogue original, Moot) qui voit le fameux tromboniste Giancarlo Schiaffini remplacer Koglmann. Un son plus gras bien sûr, un réseau d’événements plus resserré tout d’abord, mais une même musique au fond, répartie comme les masses d’un mobile flottant. Centazzo, qui s’est tourné depuis vers d’autres horizons, fut tout surpris de sa qualité. Pas nous qui n’avions pas oublié ces pressages calamiteux, mais dont chaque craquement se logeait dans la musique sans déranger son architecture libre et rigoureuse.
Lol Coxhill (ss), Franz Koglmann (tp, fghn), Andrea Centazzo (perc). Bologne, 1982
Lol Coxhill (ss), Giancarlo Schiaffini (tb), Andrea Centazzo (perc). Pistoia, 1978.