A nouveau des Yeux fermés -après ceux de Kubrick- pour dire cet essentiel : le sentiment amoureux est une grande affaire de cinéma. Sur l’écran blanc de l’Autre, on projette le film qu’on veut (Vertigo, La Captive). Ce n’est pas une idée banale ; ou plutôt elle n’est banale que pour ceux qui n’ont pas d’idées. Sur cette affaire de « blanc », relisez la page 65 du Goncourt 2000 : le « C’est tout blanc là-bas ! Viens ! » de Fassbinder, adressé à Ingrid Caven, est un sésame doux et mélancolique qui ouvre au cinéma et à l’amour. Relisez Proust bien sûr, qui écrit partout que l’être aimé n’existe pas, que, dans celui ou celle qu’on aime, il entre davantage de soi que de l’autre. Fassbinder et Proust sont de bonnes fées. A ceux qui trouveraient que ce sont des sorcières vite trouvées, des « références faciles », on répondra que Py aime Dieu, les mots et les garçons, que Proust et Fassbinder sont tout cela à la fois.
Une mauvaise façon de voir Les Yeux fermés serait de les ouvrir un peu trop justement, de voir le film dans un éclairage trop strictement autobiographique -énième version de la « petite affaire à soi »- d’y être choqué par son ton facilement trash -on entend déjà les sirènes agressives des associations « machin »-, de réduire ce qu’il raconte et nous montre à un exercice d’autocomplaisance où Olivier Py prendrait une sorte de plaisir malin à se poser en artiste perdu et éperdu, souffrant puis ne souffrant plus. Il n’est pas sûr que le film échappe toujours à ces reproches pointant ses facilités (le symbolique très présent, l’emphase poétique qui peut gêner) mais ce qui fait sa valeur, c’est précisément cette plongée de Py en lui-même, non pas en tant qu’écrivain ou homosexuel mais en tant que personnage. Si le geste d’Olivier Py nous retient, s’il laisse le sentiment d’une prise de risque, d’un tempérament artistique nécessaire, c’est qu’il expose sa personne -son corps et son cœur- comme un personnage et qu’il affirme ainsi la supériorité de la fiction, de l’imaginaire sur le réel toujours incertain. C’est quand le fantasme est riche que la vie devient possible. Ce qui touche dans le film, c’est ce tamis de créateur passé sur tous les êtres qu’on croise et qui fait d’eux des personnages, des poètes.
Le film est beau de cette force imaginaire qui embrasse tout, d’autant qu’il ne délaisse jamais les données du « réel froid », s’y confrontant plutôt pour voir ce que la magie peut faire : l’atmosphère glacée de la chambre de son amant chez qui il entre pour la première fois devient d’une étrangeté captivante par la grâce d’un son interdit et violent ; la virée nocturne (magnifique moment) d’une troupe de comédiens ivres se transforme en convoi magnifique où peines et joies disparaissent par le miracle des masques qu’on garde et des secrets qu’on échange. Le sujet des Yeux fermés, c’est la mémoire des crashs : les accidents d’avion et les accidents de l’âme ; dans les deux, il y a embrasement, puis un qui reste pour conserver les cendres. Py allume bien le feu (la forme du film est souvent éclatante) et pour les cendres, comptez sur lui pour la dispersion.