Jean Gilles est l’un des rares compositeurs du xviie français à n’avoir pas succombé aux fastes de la capitale et à la gloire promise par l’expatriation : né à Tarascon en 1668 d’un père illettré, il mourra à Toulouse en 1705 après une carrière exclusivement provinciale (entre Aix et Toulouse) et entièrement consacrée à la musique d’église. Pourtant la Messe de requiem et le grand motet versaillais Beatus quem elegisti que nous présente Hervé Niquet, réédité aujourd’hui, jouirent d’une très grande faveur tout au long du XVIIIe siècle et bien au-delà des frontières de la ville rose : la Messe de requiem décrite par Mattheson comme « une des œuvres musicales les plus belles » sera reprise de nombreuses fois après sa création en 1705 et sera jouée notamment aux funérailles de Rameau, en 1764, et de Louis XV, en 1774.
Pour l’auditeur moderne, les qualités expressives de cette musique restent extrêmement séduisantes : on ne résiste pas à l’Agnus dei ou au Domine deus de l’Offertoire ni encore au superbe Exaudi nos du motet Beatus quem elegisti. Quant au Requiem, on est d’abord surpris de la couleur globalement majeure de cette messe des morts. Là où l’on attend le pathos et la sombre gravité qui seront ultérieurement de mise dans ce genre, Gilles propose dès l’Introït un fa majeur lumineux et l’ensemble de la messe persistera dans cette fragilité claire qui signe à l’évidence la joie que représente le passage dans l’au-delà pour l’honnête homme profondément religieux du XVIIe siècle.
L’interprétation déjà un peu ancienne d’Hervé Niquet, qui date des débuts du Concert Spirituel (1989), n’est pas irréprochable. La direction d’orchestre est globalement un peu raide, les interventions des solistes inégales, particulièrement dans la messe : la technique défaillante de certains, les délicatesses d’intonation, les aigus écrasés d’autres sont heureusement rattrapés par le timbre chaleureux de Peter Harvey ou l’extrême musicalité de Véronique Gens alors à ses débuts. Le chœur est nettement plus enthousiasmant, précision et justesse frisent la perfection et la couleur de l’ensemble, ample et claire à la fois, est particulièrement séduisante.
Une interprétation honnête donc, et méritoire surtout, puisqu’elle donne à entendre une musique sensible et belle, mais trop peu enthousiasmante pour que cette même musique devienne inoubliable.
Véronique Gens, Sylvie Colas (sopranos), Jean-Paul Fouchécourt, Hervé Lamy (ténors), Peter Harvey (baryton), Jean-Louis Paya (basse) ; chœur et orchestre Le Concert Spirituel, direction Hervé Niquet (1989)