Voilà un livre d’aventure pas tout à fait comme les autres. L’histoire romancée d’une vie proprement extraordinaire. Celle d’un homme qui ne chercha pas les complications, malgré sa négligence (laisser un ami mort dans son placard, cela ne se fait pas) et une existence un peu dissipée en ces « années folles », mais qui les trouva rapidement sur son chemin faute de vigilance suffisante et de confiance dans la société des hommes. Une société trouvant sa justification dans une justice faite pour elle, pour se rassurer, c’est-à-dire œuvrant contre tous les autres, des plus désœuvrés aux plus naïfs. Une cour s’enflammant sous la vindicte populaire, un procès où l’on retourne d’un revers de main le plaidoyer de la défense -pourtant fort argumenté d’un point de vue scientifique-, et c’est le couperet qui se profile. La sentence est sans appel : perpète ! Pour un meurtre que l’on n’a pas commis, cela fait beaucoup.
Abandonné de tous, sauf de son avocat, chose assez rare pour être soulignée, le docteur rentre dans le silence. De guerre lasse, c’est ce silence qui pèse dorénavant sur sa vie, maintenant que l’exil se profile. Il prendra la forme d’un aller simple pour Cayenne, bagne d’une République qui avouera ses crimes (ceux que contera dans ses célèbres reportages Albert Londres) des années plus tard, et encore, du bout des lèvres. Par les témoignages recueillis, par les images vraisemblables et effroyables qu’il convoque, Christian Dedet éblouit. Revenons au médecin qui défraya la chronique : une évasion plus loin, et la vie reprend ses droits. Direction Caracas. Le Dr Bougrat renoue avec son caractère, oubliant la vengeance qui l’animait au lendemain de sa condamnation. Il retrouve le besoin, face à la nécessité (celle de populations oubliées du monde, manquant de soins), d’être avec les autres, l’envie du courage, et l’amour. Tout au long du livre, son auteur laisse une très vive image de ce que peut être le désespoir, celui-ci succédant à l’espoir, et vice-versa. Demeure le scandale. Celui d’une liberté bafouée par des juges présomptueux (compromis ?) et une « Loâ » (dixit Daudet) sur laquelle ils peuvent se rasseoir. Mais aussi, par la force qui l’anima durant sa vie, une liberté retrouvée, conciliée avec une destinée supérieure. Et laissant, par la force de ce magnifique récit, « un souvenir radieux ».