Brûlures est un bref et étrange récit poétique, celui d’une jeune fille passablement idiote, au sens noble du terme, qui termine ses derniers jours à l’internat d’un couvent. Placée là par un oncle qui partit s’établir en Amérique, elle accomplit quelques années, muette et apeurée, à part. Les institutions sont des machines à broyer, censées en tout cas enseigner les rudiments de ce que l’on est en droit de savoir sur la vie, le monde et l’humanité. Ici, c’est la vertu, par le modèle des saints. Le savoir religieux ne pénètre pas la jeune sotte, plus innocente et naïve que perverse, et tout simplement ignorante de tout. Ignorante de la religion qui ne rentre pas, ignorante du monde, ignorante des cruautés et des misères psychologiques. Elle découvre la mer lors de ses premières sorties, souffre le martyre d’une grave insolation par frivolité -elle veut hâler sa peau pour être belle-, déchante au bout de quelques jours passés en compagnie d’une amie qui la maudira de ne pas savoir prier, puis sera exclue du couvent pour scandale. Tenue d’assister à l’Assemblée de la Sentence, elle se présentera aux moniales une fleur de rose piquée dans sa chevelure en bataille.
Au gré d’observations lointaines et détachées, ce récit léger déplie un monde qui n’est qu’environnement, pas même présence, de gestes, de choses et de paroles qu’elle ne comprend pas. Pure bonté d’âme qui n’a rien de mieux à faire qu’à donner ses forces pour porter à bout de bras la vie matérielle du couvent. Elle ne ressent d’autre joie que celle, gratuite et sans cause, de la jeunesse ; sans raison, sans pourquoi. La troublante énigme naturelle de l’ange féminin. Personne ne sait vraiment comment la prendre, ni que faire d’elle. Elle est l’ailleurs perpétuel de tout événement, la grâce solipsiste.
De cette ignorance consentie, obstinée et têtue, de cette graine de plante semée dans un éboulis de granits et de roches, éclôt par miracle l’élan de fuir, la velléité de rompre la frontière diaphane pour se livrer toute belle et libre à l’amour. Puis de finir comme elle n’aura osé le faire avec la rose scandaleuse, chiffonnée et déchirée entre les mains d’un homme.
De très belles pages sur la mer, la terre, les étoiles et la nuit au long de cette douce trajectoire fatale d’une pierre qu’on lance vers le ciel et qui ralentit, semble méditer quelques instants, puis retourne à son lieu naturel qui est le bas. Les mouvements violents sont ceux qui ne durent pas. Ou comment songer et divaguer, extérieur à l’être et à l’essence, comment passer en toute candeur et naïveté à côté des piliers de la théologie, sans les frôler. Femmes, vous n’êtes qu’un frisson. Dolores Prato avait écrit ces pages à près de 80 ans.