Le Messie, ou le XXe siècle composé par William Klein. Entre les mains du cinéaste l’oratorio de Haendel se métamorphose en un formidable réservoir d’images. Une œuvre matière « brute » triturée, façonnée, transformée en un superbe film-collage.
Le Messie de William Klein est, en effet, un film fait de fragments épars. Il multiplie les prises de vues, les lieux de tournage (Etats-Unis, France, Espagne, etc.), les supports (pellicule, vidéo numérique, photos), et offre à l’écoute une bande son double, qui se partage entre interprétation professionnelle de la musique par le chœur et l’orchestre des musiciens du Louvre Grenoble et amateur (chœur des policiers de Dallas, centre de désintoxication de Harlem…). En d’autres termes, un assemblage d’images de la fin du XXe siècle, de musique et de texte écrits il y a plus de deux cents ans (textes de Charles Jennens tirés de l’Ancien et du Nouveau Testament). Cette plastique du discontinu invite sans cesse le spectateur à associer image et parole, éléments hétérogènes, anachroniques, en autant de combinatoires possible. Le jeu des correspondances permet ainsi d’explorer notre époque, surtout la résonance des textes bibliques en cette fin de millénaire. Qu’en est-il de la présence de Dieu sur terre ? Le constat est on ne peut plus clair : « Si Dieu est avec nous qui peut être contre nous », pendant ce temps défilent des images d’une marche de chômeurs.
Si Dieu est effectivement présent sur terre c’est uniquement par le biais de serviteurs trop zélés (voir le passage sur les Promise Keepers), particulièrement intéressés (voir la séquence sur la cathédrale de cristal dont la construction a coûté la modique somme de 30 millions de dollars) ou encore en tant que simple « gadget ». On transfère sa représentation sur un tee-shirt, on se la fait tatouer sur un bras ou une cuisse, il n’est qu’un simple mot, figurant parmi d’autres, d’un slogan : « Jesus is power ». Malraux avait sans doute raison (épargnons-nous la citation : le XXIe siècle sera…), mais le prochain siècle sera surtout celui des simulacres. William Klein nous convie à un portrait peu reluisant de l’humanité, mais finalement Dieu existe peut-être, ne serait-ce que, comme le dit le cinéaste lui-même, « sur le visage des choristes, des solistes, dans les mains des musiciens, dans la baguette de Marc Minkowski et dans la musique. Si Dieu existe, enfin, jusqu’à preuve du contraire, je n’y crois pas beaucoup, mais s’il existe c’est aux créations divines que sont les chefs-d’œuvres de la musique qu’il s’identifie ».