Comme il y a quelques mois, avec l’édition du Jardin d’Eichstätt, les éditions Taschen nous offrent aujourd’hui un livre impeccable sous la forme d’un catalogue raisonné de l’intégralité de l’œuvre de l’architecte et graveur italien Giovanni Battista Piranesi (1720-1778), dit Piranèse. La qualité du travail éditorial -préface, notes, mise en pages, reproductions, correspondances avec les autres catalogues de l’œuvre, etc.- le place d’emblée, à un prix abordable, comme l’ouvrage de référence sur cet artiste et sur son oeuvre.
Piranèse fut sans contexte le plus célèbre aquafortiste du XVIIIe siècle, grâce en particulier aux séries de gravures (les « Vedute di Roma ») qu’il réalisa de la ville de Rome et de ses antiquités (en un temps heureux où elles n’avaient pas encore été rénovées, balisées, aseptisées, où elles étaient parties vivantes de la vie des citadins). Si ces gravures témoignent dès le premier abord de la précision et du génie du dessinateur, elles révèlent surtout les sensations et conceptions de l’architecte et de l’homme d’idées. Comme du Bellay en son temps (Les Antiquités de Rome et Les Regrets), Piranèse porte sa réflexion au-delà des beautés que saisit son regard. Si les œuvres de l’ancienne Rome conduisirent le poète vers les chants de la nostalgie et de l’exil, elles mènent la pensée du graveur sur les chemins de la grandeur et de la décadence des civilisations. Dès lors, la vision artistique se fait politique, marquant le lien entre l’architecture et la vie de la cité. Apparaissent alors les séries (en particulier celle des « Carceri ») imaginaires. Villes ou prisons, personnages ou végétaux, se regroupent dans un projet architectural entièrement dévoué au service des idées. « J’ai besoin de produire des idées nouvelles, et je crois que si l’on me chargeait de dessiner les plans d’un nouvel univers, je serais assez fou pour le faire. » L’impressionnant résultat de cette folie marquera, au cours des deux siècles suivants, de nombreux écrivains et penseurs : Thomas de Quincey, Charles Baudelaire, Franz Kafka, Jorge Luis Borges, etc., qui y virent, à juste titre, l’une des tentatives les plus abouties pour lier en une même œuvre l’accueil de l’héritage du passé et la construction de l’avenir, l’utopie politique et la puissance artistique ; et cela justement sans aucune concession, ni au pouvoir politique, ni aux modes artistiques.