Dans l’Ancien Testament, comme dans toute la tradition orientale, le jardin est le lieu privilégié de l’éveil des sens. En choisissant de donner le beau nom des « Jardins du regard » à la collection de livres d’art qu’il dirige aux éditions Médiaspaul, Michel Brière souligne le souci d’une approche différente de l’œuvre d’art, dans laquelle le lecteur-spectateur serait invité à pénétrer comme dans un jardin, puis guidé, comme en une promenade, à travers les multiples significations qu’elle recèle. Afin que la lecture n’éloigne jamais du tableau, le rabat de la couverture se déplie en une reproduction grand format de l’œuvre, que l’on peut ainsi avoir toujours sous les yeux.
La Vierge au chancelier Rolin, de Van Eyck, est une œuvre extraordinairement subtile et complexe. Comme le démontre avec beaucoup d’intelligence et de finesse Corinne Louvet, c’est toute la création qui est représentée et sa spiritualité évoquée. Tout y est symbole, du carrelage aux minuscules animaux à demi cachés derrière les colonnes, aux fleurs du jardin, aux figures des portiques, aux personnages méticuleusement représentés dans un troisième plan. De même, la répartition des personnages dans l’espace, la perspective ouverte sur un fond qui est peut-être l’un des premiers paysages de montagne, en disent plus qu’un long discours sur la chute de l’homme et l’espoir de sa rédemption. Discours, ce tableau l’est aussi et inscrit dans son temps. Là encore, Corinne Louvet donne au spectateur du début du XXIe siècle toutes les clés pour le comprendre. La qualité de l’ouvrage est de faire de ces informations précieuses des éléments qui enrichissent le regard sans jamais faire perdre l’admiration que l’on éprouve devant la délicatesse du jour qui se dessine, la grâce du visage de la Vierge, la gravité de celui qui prie et qui finalement laissent le lecteur dans l’intimité de cette méditation près d’un jardin.
Toute différente est la peinture de Philippe de Champaigne, Le Christ mort couché sur son linceul. C’est la solitude du corps couché dans le tombeau, que la vie terrestre a quitté et que commence déjà à animer la vie éternelle de la résurrection. Le génie de l’artiste tient ici à cette capacité de représenter l’indicible, à faire sentir, par la lumière qui baigne le corps, le frémissement de cette vie nouvelle. M. Brière le donne à voir dans un souci plus accentué que Corinne Louvet de faire participer le spectateur à la foi qui était celle de l’artiste et qu’il partage. La peinture occidentale, jusqu’au XVIIIe siècle n’a-t-elle pas été essentiellement religieuse ? L’intérêt de ces ouvrages est aussi de les remettre dans le contexte religieux qui est évidemment le leur et que les analyses iconographiques contemporaines passent trop souvent sous silence.
On pourra toutefois regretter, mais peut-être est-ce là une conséquence de la taille volontairement réduite des ouvrages de la collection, l’absence de mise en perspective esthétique de l’œuvre. L’analyse du tableau ne se détache jamais de ce qui est figuré, sauf dans les dernières pages du livre de Corinne Louvet ou pour rendre compte de sa dimension spirituelle dans celui de Michel Brière. Mais les ouvrages d’histoire de l’art sont nombreux, tandis que ceux qui, comme ces deux volumes, proposent une approche analytique si séduisante d’une œuvre majeure, sont beaucoup plus rares.