Quatrième roman d’un cycle qui doit en compter cinq (et seconde traduction en français après Closer, paru en 1995, les deux autres oeuvres étant intitulées Frisk et Try), Guide nous projette à nouveau dans la zone limite de ce monde gay dont l’exploration radiographique forme l’un des plus saisissants tableaux de la société américaine d’aujourd’hui. A constater l’accueil réservé en France à un Bret Easton Ellis (on relèvera les influences croisées entre les deux auteurs), on s’explique mal le peu de notoriété de Dennis Cooper, tant il fait figure d’auteur culte outre-Atlantique (il fut qualifié d’ »America’s most daring novelist » par The Face ; lequel ajoute que Guide est son plus grand livre).
Le narrateur, romancier et journaliste, entre en relation avec une bande de jeunes gens de Hollywood à l’occasion de la rédaction d’un article sur le sida. Tout le roman décrit, au présent de l’indicatif, sans effort de mise en perspective, la routine de leur quotidien sur fond de chansons du groupe Guided by Voices et avec une nette dominante de films porno (teenagers au casting), drogues et fantasmes violents : « Luke est chez Scott. Mason est chez lui et se branle devant une photo du bassiste de Smear, Alex. Le jean d’Alex est si moulant qu’on voit carrément son cul. Un cul quelconque, comme celui d’un gosse. Robert, Tracy et Chris se défoncent à l’héro à l’autre bout de la ville. Ils sont vraiment graves. Pam dirige un film porno. Goof en est la vedette. Il a douze ans et demi. Je suis chez moi, j’écoute des disques et j’écris un roman sur les personnes susmentionnées, en particulier Luke. Voilà. »
Durant 270 pages Cooper raconte ces images infernales, ces vidéos en boucle où des acteurs de dix ou douze ans offrent leur anus à toutes sortes de traitements (« I have friends who are pedophiles, and it’s fine », relève-t-on dans une interview réalisée en 1995), cet underground irréel où l’indifférence lubrique et l’amour incertain se mêlent indéfectiblement : les pédos-pornos succèdent aux envies de dépeçage mortel, infligé ou subi, sans qu’aucun point de vue ne vienne troubler une narration strictement événementielle, purement passive, à l’exception de quelques phrases flottant dans un déroulement continu d’images au présent (« Je suis bizarre, d’accord ? Je ne sais pas si je suis un saint, ou si j’ai peur de la confrontation, ou si je suis incroyablement déjanté ou égoïste. »).
Paradoxalement, cette impressionnante esthétique de la « non-tension » permet à Dennis Cooper de trouver une intensité saisissante dans son exploration des dimensions noires du désir humain et de la frontière où la pulsion se fixe indifféremment sur le sexe ou sur la mort. Assumant jusqu’au bout son parti pris stylistique et son repli sur une sphère étroite (dont il ne sortira pas), Guide est un des plus inquiétants romans du moment. Un des plus justes, peut-être, aussi.