Que l’on soit ou non un familier de l’improvisation libre, de la guitare de table ou préparée (voir le Mag Eclectric guitars), on ne passera pas à côté d’un sens aigu de la direction, de la polyphonie, d’une habileté à bâtir de splendides crescendos dramatiques, à orchestrer, enfin, un propos tout ensemble clair et complexe qui signalent un musicien. Et qui partant devraient être appréciés par toute oreille musicienne, très au-delà du clivage des genres. Dans sa déjà longue mais discrète carrière, le guitariste français qui a été mêlé à de nombreuses expériences décisives -fondation du GRIM à Marseille, collaboration avec Fred Frith sur Helter Skelter, nombreux projets pédagogiques, rencontres musicales avec ce que le monde de l’improvisation compte de plus solide, étonnant passage à l’Olympia en première partie de Sonic Youth (avec l’éphémère mais prodigieux trio Montera/Doneda/Eric M)- n’a livré que peu de traces enregistrées, difficilement accessibles et dispersées. Avec Hang around shot (FMP), le présent album est seulement son deuxième disque en solo, mais c’est un nouveau chef-d’œuvre.
Souvent suspendues à un fil, les improvisations de Montera soumettent des éléments sonores hétérogènes à une pensée décidée qui ne muse pas en chemin. Son pittoresque attirail de quincaillier (ventilateurs de poche, rasoirs, brosses, pinceaux en tout genre, accessoires érotiques, chaînes et tournevis : liste non limitative) qui, à la scène, distrait parfois, ne doit pas occulter le génie particulier du son qui l’a collecté aux seules fins d’extraire de six cordes tendues entre deux sillets mobiles tout ce qui peut contribuer à « bâtir un monde ».
Cette rigueur de fond ne limite pas la folie de l’invention, elle la provoque, en décuple les effets. Que des événements s’enroulent en spirale autour du cordeau tendu d’une fine pédale, ou qu’au contraire une même tenue s’épaississe et se charge soudain d’alluvions jusqu’à saturation complète de l’espace, lequel, à son tour, s’anime de l’intérieur, craquelle, puis se contracte en un dense noyau de silence, les explorations de Montera ont un but. Tension à l’origine, sans doute, d’un si juste sentiment des durées, de la juste quantité d’événements à distiller, de la juste appréciation du jeu à introduire entre eux pour que vivent enfin ces formes, d’une vie qui ne tienne pas seulement au concept. Car, à vrai dire, frappent d’abord la spontanéité, la fulgurance du geste, l’allant, l’énergie et l’évidence sensible des sons choisis. Aussi, lorsque, à la septième plage, s’élève tout à coup le chant de la cetera enraciné dans une troublante géographie « méditerranéo-celte », on ne sera pas autrement surpris de la sensualité des contours. De même, quand Josef Suchy sélectionne en boucles des extraits du matériel enregistré pour les monter en les réinterprétant, ce sera pour nous offrir une coda de velours. Comment dès lors saurait-on se dérober devant ces sourires de Jupiter ?
Jean-Marc Montera (guitare de table, elg, cetera)
Cologne, 19 avril 1998