La littérature prolétarienne suédoise a fait de l’écriture romanesque un outil d’émancipation individuelle. Représentant majeur de ce mouvement, Eyvind Johnson met sa compétence au service des intérêts collectifs : la vocation de la littérature est, selon lui, de donner du monde une image telle que chacun puisse en avoir une conscience claire. Ecrit en 1951, Ecartez le soleil répond à cette exigence. Dépassé par le drame de la condition humaine, un petit groupe d’hommes et de femmes aux destins convergents est réuni dans un refuge de montagne. Tel est le terrain d’expérimentation choisi par l’auteur. Hésitant entre roman et théâtre, Johnson emprunte aux deux genres et défie les conventions formelles. Au présent il combine passé et futur pour produire un temps synthétique qui seul peut rendre intelligible l’histoire humaine. Marquée par la fermeté morale et politique de son auteur, l’expression s’engage dans des détours esthétiques violents et lyriques mais sans jamais perdre de vue le sens à placer dans l’histoire.
L’un après l’autre, les personnages entrent en scène et lentement le voile est levé sur les liens ignorés ou notoires, ces « points de contact » qui les unissent. Seul Crofter Brace, le journaliste anglais, est à l’écart des confrontations. « Je suis neutre maintenant, pensa-t-il, c’est ce qu’il y a de remarquable, de parfait dans ma situation. Je n’ai qu’à écouter, observer et juger. » Il le fait, d’abord en spectateur puis en narrateur, apportant à l’intrigue une substance critique, jusqu’au moment où, au contact de l’action, sa neutralité se délite. Gallo, figure de l’intellectuel, est au centre de la tragédie : il est pour les autres personnages une identité mythique, désincarnée, bouc émissaire de leur peine. Ecrasé par le mythe, l’homme accepte la calomnie pour défendre, jusqu’au bout de ses forces, un destin collectif : « Vous devez me croire, leur dit-il, je travaille pour vous tous. » Les autres, hommes ou femmes, Gina ou Eugénio, Jules ou Sylvia, liés par le sang ou par choix, animés par l’amour ou l’individualisme, l’idéalisme ou le réalisme politique, fuient au nom de leur liberté. Fragilisés par la fuite, ils perdent l’équilibre dans la confrontation, et l’espoir lorsque l’histoire s’en mêle : en quelques heures le contexte politique évolue contre eux. Encerclé par la guerre, le refuge est une chimère de sécurité et de liberté, la frontière où leur existence doit basculer, poussée par l’histoire -symboliquement représentée par une avalanche. L’humanité joue sur une scène éclairée par un soleil cruel qui met à nu les faillites de ses acteurs. Mais qu’importent les aléas des hommes et des femmes : « l’avenir dépend de nous ».