Sophia Domancich est une femme discrète. Ainsi, s’imposer en piano solo au sein d’un album complet confine à l’exercice ardu. Pourtant, la réussite est là. Après une carrière de plus de 20 ans dans des formations à géométrie et intérêts variables, la pianiste française livre avec Rêves familiers le premier album sous son nom. De ses expériences au sein de son fabuleux trio (avec, notamment, Paul Rogers et Bruno Tocanne), elle a su garder un sens intact de la mélodie, une aptitude innée pour l’improvisation collective. Ici seule, toutes ses qualités sont mises au premier plan, sans aucun autre artifice.
On pourrait disserter longuement sur l’intérêt déjà bien entamé que peut représenter un disque de piano solo actuellement. On rajoutera sûrement que la redite est au coin de la rue. Bien au contraire, le syndrome Köln Concert n’a finalement touché que Keith Jarret et consorts, et l’on se plaît à découvrir de jeunes pianistes moins égotistes qui réussissent lors de cet exercice.
Fred Van Hove nous l’avait brillamment démontré l’année dernière avec son album sur le balbutiant label Potlatch et Sophia Domancich enfonce ici doucement le clou. Cette génération dont fait partie Domancich sait faire preuve de retrait, de révérence mais aussi et surtout de distance critique et créative envers ses aînés starisés. Avec des pièces simples, construites au hasard du moment, la pianiste marie un jazz aux consonances anglaises (Paul Bley, John Greaves…) avec une pratique libertaire de l’improvisation. Et si Rêves familiers ne marque ni un tournant ni une révolution dans l’histoire (sans majuscule) des musiques jazz, nul doute que l’apparition d’objets musicaux tels que celui-ci -c’est-à-dire frais et inspirés- ne saurait être occultée par l’apparition soudaine de nouvelles têtes d’affiche à la créativité bien souvent atrophiée.