Fraîcheur, spontanéité et générosité : la première galette des six frères Seba puise en vrac à tous les étages d’une cité musicale cosmopolite, tout en demeurant profondément attaché à la communauté algérienne de France. Du raï pour ceux qui en demandent, mais pas n’importe lequel. Du raï volontairement « bâtard ». Celui de l’album Ewa ne ressemble que de très loin au blues rebelle d’Oranie. Il en a la rage rythmique mais sacrifie au rituel de la fusion électrisante, sur laquelle on trouve une dose de rock, une pincée de jazz, un zeste de rap, une once d’énergie flamenca, un bout de guitare funk…. Un vrai couscoussier rempli d’influences exotiques pour « l’arabe du coin », à qui sont dédiés les onze titres de ce projet discographique. Le groupe a tenu en effet à rendre un véritable hommage aux épiciers arabes de France et de Navarre, dignes représentants d’une tradition de service.
Ben Ali, le titre qui porte cet hommage au-commerce-de-proximité-ouvert-tard-la-nuit, convie Latif, un véritable spécimen du métier, en guest. Sur une pirouette musicale qui pulse à 100 à l’heure, il accompagne avec accent et dérision (« Merci madâme, merci m’ssyeu. 29,90. Vous voulez un p’tit sac ? ») la devise de circonstance : « C’est Ben Ali, votre épicier / Bien décidé à vous servir avec sourire / Question boulot, pas de répit / Surtout quand il s’agit d’être présent / Pour mes clients. » Sur un tempo, où se conjuguent leurs multiples influences, les six lionceaux (« Seba » signifie lion), nés entre Montfermeil et Villepinte en région parisienne dans les années 60/70, d’un père débarqué d’Algérie en 1948, se réapproprient en partie un patrimoine de l’Ouest algérien (les troubadours de M’sirda, feux follets de toutes les fêtes du côté de Ghazaouet et de Maghnia). Tout comme ils s’emparent des clichés du racisme quotidien dans l’Hexagone pour mieux les asservir (le reste du temps, ils chantent la vie, l’amour, l’histoire et le bonheur de vivre). Sans fibre militante, ni discours démago, il s’agit juste pour eux d’établir de temps à autre des clins d’œil évocateurs pour le mélomane désireux d’en savoir plus sur leurs origines. C’est une des raisons pour laquelle l’album a d’abord été revendu dans le réseau épicier (enseigne Alimentation générale sur la pochette), avant de sévir dans les bacs de la grande distribution musicale. Les Seba forment une sorte de passerelle entre un monde et l’autre. Leur musique est d’abord festive, avant d’être un lieu de débats. A noter que ça fait plus de dix ans au fond qu’ils courent les mariages…