Enfant, le Bahianais, co-inventeur du tropicalisme, allait fantasmer dans les salles obscures, en conversant dans ses rêves les plus profonds avec le fameux couple formé par Federico Fellini et Giulietta Massina. Plus tard, à l’université, il alignera quelques critiques dans la presse sur le génie incontestable du cinéma italien. A l’époque, il s’interroge encore sur la voie à prendre, sur les décisions qui vont marquer sa vie, sur son avenir d’adulte contestataire et sur la possibilité de devenir cinéaste à son tour. Mais comme on ne peut réaliser tous ses rêves, Caetano Veloso, à l’âge où l’on se laisse envahir par les folies de la sagesse, n’a toujours pas rejoint son idole dans les temples du 7e art. Artiste avant-gardiste, il n’est connu que pour un seul et unique film aujourd’hui, Cinéma falado, un exercice de style, tendance « expérimental », réalisé en 1986. Il n’empêche… L’ancien comparse de Gilberto Gil, frère aîné de la merveilleuse Maria Bethania, a trouvé le moyen de rendre hommage à Federico et à sa compagne. En virtuose et en musique s’il vous plaît.
En compagnie d’une petite formation (Bala à la batterie, Helder à la contrebasse, Brazil à la guitare), avec le violoncelliste Jacques Morelenbaum à la direction musicale, Caetano Veloso promène la nonchalance de sa voix, le timbre un peu fragile, sur un répertoire, qui mêle des musiques et des ambiances de film (La Strada, La Dolce vita, Ginger et Fred… écrites pour certaines par Nino Rota, comme Gelsomina) à ses propres compositions (Cajuina, Coraçao vagabundo…), ainsi qu’à des œuvres issues du patrimoine brésilien (Chega de Saudade de Tom Jobim et Vinicius de Moraes). Nostalgie, audace, émotion et magie du cinéma. L’album est un live, enregistré lors d’un concert à Dogana San Marino organisé en 1997 par la fondation Fellini. De la grâce sur toute la longueur des plages. Que não se vê, Giulietta Massina, Damas das Camélias… On se frotte ici à un imaginaire à la fois distingué et joueur de la part d’un poète à succès, qui sait se renouveler sans se renier au contact du vaste monde. Caetano revisite avec cet hommage appuyé une part de son enfance, qu’il ancre dans une universalité que peu de mélomanes lui reprocheront. C. Veloso, annonciateur en 1999 du Brésil estival que la France s’apprête à vivre en ce moment, est un petit lutin au talent déroutant. Ce disque à la nostalgie précieuse en est la preuve.