Troisième album de Shellac, groupe de l’increvable Steve Albini (guitare), toujours accompagné de Todd Trainer (batterie, chant) et Bob Weston (basse). La pochette est toujours aussi belle que d’habitude, Albini étant un intégriste du vinyle. Le premier album (Attraction park -1994) était en carton dur et épais, le second (Terraform -1996) était peint avec des surimpressions de couleurs, ce 1 000 hurts, lui, est livré dans une grande boîte comme celles qui servent à ranger les bobines audio -et en plus du vinyle (qui pèse ses 180 grammes, comme il se doit), elle contient aussi le CD. Rien que pour l’objet, donc, ces mille blessures font plaisir.
Côté musique, rien de surprenant : Shellac, c’est Shellac, ça ne change pas. A savoir : du rock-noise super tranchant, syncopé, agressif, tendu comme une corde de guitare prête à se rompre ; toujours le chant méchant et cinglant de Trainer (qui s’essaie même à un vrai chant sur Prayer to God). Toujours les mêmes mots simples et violents pour raconter des histoires simples et violentes (« This isn’t some kind of a metaphor / Goddamn this is real », chante Trainer sur Squirrel song) ; toujours une basse lancinante et répétitive ; toujours une science aussi parfaite des breaks et des reprises, d’une attente angoissée (Mama gina) ; toujours quelques références rock bien senties (Jesus Lizard rencontre John Lee Hooker sur Ghosts) et une ironie omniprésente (Song against itself) ; toujours ce groove froid comme un coup de fouet à même la peau, sans pitié, sans détour, sans artifice (Shoe song) pour un rock brut, douloureux et jouissif.
Shellac est donc un trio rock minimaliste au sens entier du terme, aussi bien pour sa musique (toutes les chansons font trois minutes) que pour son « éthique » sans concession : politique de prix le plus bas possible (CD + vinyle vendus ensemble), aucune promotion (ni presse, ni radio, pas de copies promo), contrôle de la qualité du son et du pressage (tout analogique, en Direct Metal Mastering). Une attitude rare et respectable qui tranche avec l’ensemble des pratiques du music business. Et c’est justement parce qu’Albini connaît bien ce business (il a produit à peu près tout le monde dans le rock) qu’il se permet avec Shellac de faire survivre une certaine idée de l’artisanat rock. Si Big Black était un grand groupe punk moderne, alors Shellac en est sa version adulte, austère, dépouillée, résistante. A Chicago, Steve Albini conserve cette flamme allumée à l’époque avec du Kerosene, pendant que les autres font du post-rock. Avis aux amateurs.