Art official intelligence, cinquième album des De La Soul, est un bon album de rap. Mais pourquoi son écoute rend-elle aussi heureux ? Après tout, des bons albums de rap, il en est sorti des centaines depuis 1979, et tous ne provoquent pas un tel état d’euphorie chez l’auditeur. Il n’y a qu’à relever le nombre d’articles laudateurs que le groupe a déjà récoltés de part et d’autre de l’Atlantique depuis le début de l’été pour se rendre compte de l’étendue du phénomène, ou encore compter le nombre de stickers sur la couverture de ce CD : M6 Music, Les Inrockuptibles, Groove… Ce n’est plus du packaging, c’est un maillot de coureur cycliste. Et dire que ce disque n’est même pas un chef-d’œuvre : la production, assurée par les De La Soul eux-mêmes, est efficace mais sans grande imagination, le flow précis n’atteint ni la souplesse féline d’un Rakim ni l’incandescence bancale d’un Ol’Dirty Bastard, et les lyrics ne sont guère marquants. Rien à voir avec la révolution que furent les débuts du groupe, en 1989, à une époque où, pourtant, il y avait au moins 33 révolutions par minute dans un hip-hop qui connaissait alors son âge d’or.
Peut-être est-ce là, après tout, ce qui explique la joie qui saisit l’auditeur à l’écoute de cet album : nous nous sommes tellement habitués, depuis, à ce qu’un album de rap vendant plus de 100 000 exemplaires soit forcément médiocre, gavé d’interludes stupides et de fastidieux duos r’n’b, que ce simple fait, « le dernier De La Soul est un bon album de rap », c’est-à-dire un disque qui s’écoute de bout en bout sans faiblir, suffit à nous réjouir. Que cet album, en plus, émane de l’un des groupes de la scène US les plus sympathiques et les moins portés sur l’autoglorification ajoute encore au plaisir de la chose. Que le livret du CD le présente enfin comme le premier volet d’une trilogie achève de faire notre bonheur. En attendant la suite, on peut donc savourer ces 17 morceaux résolument orientés danse et rehaussés de featurings de qualité (Busta Rhymes, Chaka Khan, les Beastie Boys, le vétéran Busy Bee…), après avoir dansé tout l’été sur le premier maxi, cet entêtant Oooh servi par un Redman impeccable. Rendez-vous compte : De La Soul ! Un hit de l’été ! Non, l’an 2000 ne sera pas complètement foutu.