Entre chaque silence ponctuant l’ouverture orchestrée de Selmasongs, on entend quelqu’un reprendre son souffle, inspirer profondément pour, semble-t-il, permettre à la musique de repartir… Cet orchestre qui respire, c’est Björk, devenue aujourd’hui souffle, âme de la musique, incarnation, corps de la musique, Björk devenue musique elle-même.
De l’Overture, au lyrisme orchestral wagnérien, à Cvalda, bondissant dialogue entre Björk et Catherine Deneuve, jusqu’à New World, hollywoodien et crépusculaire, Selmasongs théorise un véritable animisme musical. Björk et Mark Bell (LFO) donnent littéralement vie aux sons enregistrés sur le tournage du film (bruits d’usine pour Cvalda, trépidations d’un train pour I’ve seen it all), arrangés en rythmiques électroacoustiques, dans l’esprit du courant de la musique concrète de Pierre Henry ou Pierre Shaeffer. Cette matérialité des sons renvoie à l’aveuglement dont Selma/Björk est victime peu à peu dans le film, aveuglement et obscurité que le personnage embellit par la transformation de son environnement sonore en musique.
Les sentiments ressentis par le personnage de Selma sont rendus musicalement par l’arrangeur Vince Mendoza, avec qui Björk a étudié les sources d’influence de l’histoire de la comédie musicale. Les arrangements pour orchestre évoquent Ravel, Ligeti ou Sibelius, pour une musique expressionniste, imagée, souvent mélancolique, qui apporte le complément émotionnel aux expérimentations rythmiques. La gaieté particulière des comédies musicales est rendue, dans In the musicals notamment, par l’exubérance rythmique, les rappels sautillants, énergiques, à Spike Jones ou Esquivel.
Le thème de la vision revient dans les lyrics, du duo avec Thom Yorke (I’ve seen it all) jusqu’au final New world (« A new world, a new day to see, I’m softly working on it »), et tout le disque semble tourner autour d’une dialectique entre le visible (le film comme monde) et l’invisible (le son). La musique, par son caractère de suggestion, rendant visible le monde, le monde se transformant en musique. Reste Björk, habitante de ce monde et de cette musique, comme faisant corps avec eux, pour un pas de plus vers la musique des sphères, l’harmonie universelle…