Voici donc, dans le cadre d’une nouvelle collection vouée aux jeunes talents, le récital de la jeune et souriante claveciniste Céline Frisch dans un programme d’œuvres de J. S. Bach, pour la plupart connues et enregistrées, sauf la rare et intéressante Suite BWV 818, peu servie par le disque.
Il s’agit d’un récital instrumental qui frise la perfection technique : toucher brillant, moelleux dans les mouvements lents, variété et souplesse dans l’exécution des ornements, tempo imperturbable. Oui, vraiment, le superbe instrument d’Anthony Sidey (dont on aimerait en savoir un peu plus) sonne. Céline Frisch est sans aucun doute la virtuose bardée de prix et de diplômes que nous vante le texte de présentation. Elle est l’invitée régulière des meilleurs festivals de musique pour le clavier et nous ne pouvons que souhaiter une belle carrière à cette jeune et talentueuse artiste, déjà bien soutenue par les institutionnels.
Toutefois certaines qualités peuvent devenir des défauts. Ainsi, le sens du tempo de Céline Frisch, son extrême régularité et cette « motorique » roborative qui caractérisent son interprétation, s’ils permettent dans l’ensemble une direction imperturbable et mettent en valeur le fameux « perpetuum mobile » propre au style de J. S. Bach, laissent peu de place aux subtilités agogiques qui assouplissent l’expression : ainsi, dans le Prélude en ut majeur BWV 870 du deuxième livre du Clavier bien tempéré, le marquage de la pulsation vire à la manie, et cette sublime toccata qui demande ampleur et respiration se trouve réduite à un exercice scolaire et peu inspiré. Dans les mouvements lents, en général, et le traitement des ornements en particulier, on ne peut nier un défaut de « vocalité » engendrant une certaine raideur : ainsi, dans la très belle et large sarabande de la Suite anglaise en sol mineur BWV 808, les ornementations à l’italienne du double perdent toute fonction narrative. Le sens du discours est également absent du récitatif central de la grande Toccata en ré majeur BWV 912 ; cet épisode devient d’une platitude consternante. Les mouvements rapides sont plus attrayants, le toucher extrêmement clair et léger sert particulièrement bien des pièces comme la courante de la Suite française BWV 816 et autres gavottes et gigues, mais toujours, cette raideur métrique fait presque oublier qu’il s’agit de danses.
Nous tenons donc ici une interprétation honnête mais sans grande fantaisie, où ne s’exprime pas une personnalité marquante. Est-ce l’appréhension d’un premier enregistrement ou la figure paralysante du grand J. S. Bach, mais l’ensemble des pièces présente une certaine monotonie dans l’expression et l’on aimerait rappeler ce que dit Kirnberger à propos des Suites françaises : « Ces morceaux ont bien plus que de l’élégance, ils ont du caractère et de l’expression. »
Prélude et fugue BWV 870, Suite française n° 5 BWV 816, Suite BWV 818a, Toccata BWV 912, Suite anglaise BWV 808. Novembre 1999