Il y a toujours quelque chose de casse-gueule à vouloir présenter, au cinéma, une relecture ou un nouvel éclairage de l’Histoire sous la forme d’un cours ou d’une leçon d’histoire (on baille déjà). Le spectateur, en présence d’un film de fiction, n’est justement pas là pour qu’on la lui fasse, la leçon. Le film d’Ali Abidi endosse l’habit poussiéreux de la reconstitution d’époque avant de plonger tête baissée dans un didactisme ronflant. Sa petite leçon (on baille encore) expose, à travers le regard de Brahim, un jeune avocat diplômé, natif de Redeyef, petite ville du sud-ouest, la situation de la Tunisie au moment de l’indépendance, partagée entre la lutte armée des fellaghas et la négociation pacifiste des bourghibistes, entre un peuple, dépositaire de traditions ancestrales, et une élite, de plus en plus accoutumée aux manières occidentales. Voilà pour l’Histoire, voyons la leçon (on pique doucement du nez).
Les personnages de Redeyef 54, pour ne pas faire d’ombre à l’exposé, n’existent pas vraiment. Ils sont sacrifiés : chacun a sa fonction, précise et didactique, dans le scénario historique, et chacun tient un discours militant, donc politique, qui dépend de sa fonction et uniquement d’elle. Il y a donc le communiste et son écharpe rouge, le syndicaliste et son poing levé, le bourghibiste et son diplôme français, le partisan de Mendés et son optimisme, le fellagha et son fusil, l’ouvrier et son salaire, le gendarme et son képi. Et les femmes dans tout ça ? Les femmes, c’est bien connu, ne comprennent rien à la politique. Les femmes n’ont que leurs yeux pour pleurer, ou faire du charme aux hommes qui, eux, s’en moquent, il y a quand même des choses plus importantes à régler, non mais ! En oubliant qu’un individu ne se résume pas seulement à son engagement politique (que cache l’engagement d’un individu ?), qu’il soit fort ou pas, Ali Abidi délaisse la seule intrigue valable qui aurait (peut-être) tiré son film de la torpeur de sa leçon (ça y est, on dort vraiment) : celle d’un jeune homme pris dans la tourmente amoureuse, ne sachant qui choisir, de la femme traditionaliste, qui lui est promise, ou de la femme « européanisée », pour qui il a eu le coup de foudre.