Sacré par la critique dernier grand héritier du cinéma américain classique, Clint Eastwood a toujours assumé paisiblement cette distinction prestigieuse. Cependant, après Minuit dans le jardin du bien et du mal, fumeux et moralisant, et l’échec de Jugé coupable, on craignait de le voir s’embourber dans une paresseuse fin de carrière. Erreur, car l’ex-« dirty Harry », s’il a bel et bien posé son magnum à silencieux, n’est pas prêt d’abandonner son poste de franc-tireur planqué dans les collines hollywoodiennes. Avec Space cowboys, qu’il produit et réalise, Eastwood reprend le « Nasa movie » là où L’Etoffe des héros et Apollo 13 l’avaient laissé – c’est-à-dire quelque part en apesanteur entre l’épopée technologique et le film catastrophe – et investit avec humour et savoir-faire ce genre peu pratiqué.
Il faut dire que le sujet est en lui-même une trouvaille : en 1958, une bande de pilotes d’essais (l’équipe Dedalus, rassemblant des doublures oubliées des John Glenn et des Chuck Yeager) se fait coiffer au poteau pour le premier vol dans l’espace par un chimpanzé. Quarante ans plus tard, les membres de l’équipe, dispersés, ruminent toujours cette injustice qui les a tenus à l’écart de la conquête spatiale. La NASA fait appel à Franck Corvin, ancien pilote de Dedalus aujourd’hui ingénieur à la retraite, pour réparer un vieux satellite russe en perdition, dont il a jadis conçu l’électronique. Compte tenu de la vétusté de l’engin, il est le seul à pouvoir le réparer. Corvin accepte, à condition d’être lui-même envoyé en mission dans l’espace, avec l’ensemble des pilotes de Dedalus. Ces anciens « presque héros » se sont reconvertis diversement : Hawk (Tomy Lee Jones) organise des baptêmes de l’air, Jerry (réjouissante prestation de Donald Sutherland) construit des montagnes russes, tandis que Tank (James Garner) est devenu pasteur. Ils ressortent leurs vieux cuirs de pilote et débarquent au siège de la Nasa avec la ferme intention de prendre leur revanche.
Space Cowboys est bien obligé de citer L’Etoffe des héros, dont il serait une sorte de remake démystifiant, flirtant avec le pastiche tout en gardant une distance rigoureuse avec le film de Phillip Kaufman. Eastwood, dont le froncement de sourcils est toujours aussi efficace, incarne parfaitement ce Chuck Yeager vieillissant, aigri juste ce qu’il faut pour ne pas laisser passer cette tardive seconde chance. Son équipe de joyeux drilles et d’imposteurs légitimes s’embarque donc pour aller soigner le satellite. La suite, riche en rebondissements plus ou moins heureux, vaut surtout par le réalisme et la haute tenue des séquences dans l’espace. La nuit cosmique, le mystérieux et menaçant satellite, les déplacements de ces astronautes rhumatisés, tout cela est visuellement très impressionnant et parvient (durablement) à nous faire oublier les invraisemblances du scénario. Car les mauvaises langues peuvent facilement rétorquer que Space Cowboys ne tient pas debout, et l’on ne pourra que leur donner raison. Néanmoins, une distribution impeccable d’acteurs drôles et chaleureux, une mise en scène vigoureuse et précise, des dialogues ciselés en font un film parfaitement équilibré. Modeste dans ses intentions, Eastwood n’en a été que plus ambitieux dans l’exécution, ce que, de la part d’un soi-disant « auteur », on peut admirer ou blâmer. Cette excursion saugrenue entre vieux copains sur orbite porte en tout cas l’empreinte de son humour pénétrant et de sa compassion désenchantée.