Les Antiquités de Rome (1984-1989) et La Vallée close (1995-1998) se sont révélés à un public d’initiés au cours de divers festivals, de programmations de cinémathèques et surtout, par l’entremise du couple Straub-Huillet qui, depuis quelques années, s’est fait l’ambassadeur des films de Jean-Claude Rousseau. Il convient aujourd’hui de saluer le courageux effort de Capricci Films, qui, en proposant une copie 16 mm du diptyque, témoigne d’une audace assez rare dans le domaine de la distribution. La nécessité de diffuser ce travail d’une très haute exigence artistique était incontestable. Aux spectateurs incombe désormais le devoir de rencontre avec une œuvre où la beauté sourd de chaque plan, un cinéma autarcique et exigeant auquel on n’osait plus rêver.
Les deux films s’articulent autour d’un concept commun : celui du bout à bout de bobines de super-8 d’une durée de 2 min 30, pour la plupart en plans fixes, amorces comprises. Ne ressortissant ni au documentaire ni au domaine expérimental et encore moins au cinéma narratif classique, ces deux suites picturales, poèmes d’espaces et de temps, s’affranchissent du reste du paysage visuel contemporain pour se bercer de leur liberté absolue et de leur lumière intérieure. Jean-Claude Rousseau est un homme de cadres, chacun de ses plans découpe l’espace avec une évidence sidérante de beauté : la caméra ne pouvait qu’être là, que capter cette répartition de jour et d’ombre, de ciel et de pierre, d’arbre et d’eau. Le cinéaste dans son rapport à la durée applique le précepte de Corot cité par Robert Bresson dans ces fameuses Notes sur le cinématographe : « Il ne faut pas chercher, il faut attendre. » Une caméra fixe enregistre un coin de rue, un ruisseau qui s’écoule, un téléphone de chambre d’hôtel, et parce que le temps qu’elle prend pour le faire est hors de proportion avec la simple donnée informative transmise par l’image, celle-ci échappe à la longueur, à la lenteur, à tout prosaïsme.
Ce qui n’aurait pu être qu’un simple programme intellectuel ne sombre à aucun moment dans l’application théorique, bien au contraire. L’expérience du temps à laquelle invitent les deux films conduit à une émotion esthétique et sensuelle. La beauté ne se dévoile que dans l’attente : Corot le dit, Rousseau l’applique. D’où le vertige aux limites du syndrome de Stendhal ressenti face à ces poèmes de Celluloïd aux articulations régulières, de 2 min 30 en 2 min 30, battements métronomiques d’une symphonie lente dont chacun est chargé de recomposer le rythme en fonction de son intériorité. Ces deux films (à ranger aux côtés des véritables aboutissements artistiques de l’année : Ainsi soit-il, L’Arche de Noé, La Captive) nous rappellent, n’en déplaise à certains, que le cinématographe est vivant et qu’il conserve sa salvatrice intransigeance.