Après Starship troopers, divertissement hautement caustique, nous attendions beaucoup du mythe de l’homme invisible revisité par Paul Verhoeven. On fantasmait déjà sur une variante corrosive du blockbuster hollywoodien où l’action sauverait les apparences en dissimulant un discours discrètement critique. Si la première heure de L’Homme sans ombre semble emboîter le pas à son aîné précité, la suite se liquéfie petit à petit pour, au final, ne rien conserver de la substance conceptuelle qui nourrissait jusque-là le film.
Tout commence pourtant d’une façon grandiose avec un prologue qui prouve d’emblée que Verhoeven a saisi toutes les potentialités visuelles de son sujet : montrer l’invisible à l’aide de toutes les formes possibles. C’est d’abord le sang qui recouvre les mâchoires de la créature transparente, ce sera, par la suite, l’eau qui épouse la silhouette de Sebastian Caine ou le gaz qui l’enveloppe de son halo fumigène. Surtout, le cinéaste a la bonne idée de commencer son film au moment le plus crucial : la formule de l’invisibilité a été découverte, reste à la tester sur l’être humain. Le premier volontaire n’est autre que l’inventeur de l’élixir, un savant aussi génial qu’arrogant, Sebastian Caine. L’expérience qui se déroule dans le plus grand secret se conclut par un semi-échec : Sebastian, devenu invisible, ne peut recouvrer son apparence originelle. S’il fallait établir des jalons marquants dans l’histoire des effets spéciaux, L’Homme sans ombre figurerait sans rougir auprès des opus numérotés de George Lucas et autres « Jurassic parkeries » de Spielberg. Comme Terminator 2 en son temps, le succès du film de Verhoeven tient en grande partie dans la qualité exceptionnelle de son animation. En filmant les étapes progressives du processus qui mène à l’invisibilité, ou a contrario du retour à l’image, Verhoeven nous convie à de saisissantes leçons d’anatomie au cours desquelles l’apparence et la texture du corps humain bénéficient d’un rendu des plus fidèles.
Ces séquences impressionnantes raccordent avec le discours sous-tendu par L’Homme sans ombre : explorer la face sombre de l’âme humaine sans démagogie, ni condescendance. Détenteur d’un immense pouvoir qui le soustrait à la loi, le héros enchaîne les mauvaises actions, preuve que ce serait en quelque sorte « la peur du gendarme » qui régirait nos choix moraux. Constat pessimiste mais passionnant, L’Homme sans ombre se perd toutefois dans les méandres de son intrigue. Face à la résistance de son équipe qui veut alerter les autorités gouvernementales, Sebastian n’a d’autre choix que d’éliminer un par un ses membres. Une course-poursuite s’engage alors entre le couple rescapé du massacre (E. Shue-Josh Brolin) et Caine devenu une bête sanguinaire. Déshumanisé, le héros de Verhoeven perd toute son ambiguïté philosophique pour ne demeurer qu’une créature de plus dans la monstrueuse parade des Aliens et autres Terminators. Dommage que le cinéaste perde de vue le sujet qui faisait l’originalité de son film au profit d’une mécanique « actionnelle » simpliste et, pire, déjà vue (les réapparitions successives de la créature que l’on croyait morte). Rarement une entreprise de sabordage aura été plus rageante.