Le cinéma français aime décidément beaucoup les impératifs. Après Emmène-moi, Oublie-moi et le plus cavalier Baise-moi, surgit aujourd’hui une demande d’un autre ordre mais tout aussi désespérée dans sa formulation : Sauve-moi. Au vu du parcours de Christian Vincent, le metteur en scène semblait peu enclin à aborder un sujet à résonances sociales. On le savait préoccupé par le couple et par l’exploration du jeu des sentiments (La Discrète, Beau fixe, La Séparation), on l’imaginait moins adapter un roman de série noire issu d’une collaboration entre Ricardo Montserrat et un atelier d’écriture composé de chômeurs. Si continuité il y a, c’est du côté géographique qu’il faut la chercher puisque le réalisateur retrouve ici le nord de la France, qui servait déjà de décor à son précédent film : Je ne sais pas ce qu’on me trouve.
C’est en effet à Roubaix que débarque Agatha, une jeune Roumaine débordante de vitalité, la tchatche facile et le sourire ravageur. Perdue dans une ville qu’elle ne connaît pas, elle fait la rencontre de Mehdi, un garçon qui vit au jour le jour, entouré d’une bande d’amis tous plus ou moins en galère. La petite bande accueille chaleureusement l’étrangère qui, l’espace de quelques jours, leur fait envisager à tous la possibilité d’une autre existence, moins pesante, plus libre. Agatha agit donc en révélatrice des manques et des aspirations de cette petite famille vivant aux limites de la marginalité. C’est ce personnage fort, porté par l’irrésistible hystérie de son interprète, Rona Hartner, qui a visiblement intéressé au plus haut point Christian Vincent. Son adaptation néglige volontairement toutes les données policières (il y a un meurtre dans le film mais sa fonction dramatique reste annexe) de la trame initiale pour se centrer sur le désarroi de ses protagonistes.
Produit par Agat Films, Sauve-moi évoque, dans sa description d’une communauté solidaire soudée par les difficultés économiques, l’univers de Robert Guédiguian. Mais à l’inverse de Marius et Jeannette ou d’A la vie, à la mort, le récit n’est pas prétexte à une démonstration politique. L’auteur n’a rien à prouver, il n’est ni dans la fable ni dans le pamphlet, d’où peut-être la résolution placide de sa chronique, une absence de paroxysmes, cette façon de laisser les personnages à leur résignation lucide. Christian Vincent s’est détourné du réalisme social et des conventionnelles représentations misérabilistes du Nord pour s’attacher à la respiration du petit monde qu’il filme, un monde où, justement, circulent les sentiments amoureux qui l’ont toujours captivé. C’est par sa juste mise en relief des individualités affectives que Sauve-moi échappe au dogmatisme emphatique et parvient à parler de désillusion et de dignité de façon effective.