Si le film de Karin Julsrud met en confiance dès les premières minutes, c’est qu’il se présente au premier abord comme un bon vieux polar bien classique : ambiance frigorifique, personnages austères et impénétrables, intrigue brumeuse qui prend tout son temps pour se mettre en place… Mais, progressivement, on comprend que Bloody angels représente bien plus. La réalisatrice norvégienne utilise effectivement des éléments traditionnels pour raconter son histoire, mais elle détourne ces derniers pour produire un film au style indéfinissable. Elle obscurcit, complexifie intentionnellement le genre, en y insérant ses propres codes -à l’instar de Raymond Chandler ou James Ellroy en littérature- afin de s’en détacher radicalement.
Après la découverte du cadavre d’un jeune homme dans un patelin provincial de Norvège, Nicholas Ramm, venu tout droit d’Oslo, est chargé d’enquêter. Cet inspecteur impassible affrontera la méfiance et l’hostilité d’une population locale pratiquant la loi du silence. On apprendra par la suite que la victime était en fait l’un des principaux suspects d’une affaire survenue quelque six mois auparavant : le viol et le meurtre d’une enfant handicapée. Dès les premières minutes de Bloody angels, Karin Julsrud annonce sa ferme intention de ne pas sombrer dans le manichéisme. Tout comme elle le fait pour son personnage principal, la cinéaste brouille les pistes du spectateur, en le plantant brusquement dans un village insondable. Nicholas Ramm arrive donc sur les lieux avec six mois de retard… Son enquête sera alors exhibée comme une lutte insignifiante, incessamment mise en déroute par les autochtones.
Du point de vue de la mise en scène, Julsrud délaisse tous les artifices du sensationnel, afin de nous faire ressentir intensément la violence implicite de ses protagonistes. Assez proche de Michael Haneke (notamment celui de 71 Fragments) dans son art de la narration, elle réussit à nous faire comprendre -sans pour autant cautionner- les actes ignobles de personnages pour qui la vengeance et le talion sont les maîtres mots… Pour preuve, la fin brutale du film où toute trace d’humanisme est réduite à néant. Cependant, celle-ci n’est pas à interpréter comme un message pessimiste, mais comme une constatation pertinente de l’intense désespoir qui nous entoure.