C’est plus d’une année après sa sélection en compétition officielle à Cannes que nous parvient aujourd’hui ce premier film de Hong Kong dont le titre devrait emballer les nostalgiques de Joy Division. Il est pourtant peu ou prou question de musique dans Love will tear us apart qui suit les destinées parallèles d’une poignée d’immigrés chinois à l’heure historique de la rétrocession du territoire national. Des Chinois contraints, par leur origine, à une existence marginalisée au sein d’une société qui n’offre aucun point d’ancrage à leurs identités respectives. Egarés dans les couloirs de l’anonymat, les personnages de Yu Lik Wai évoluent dans un univers transitionnel, celui de passes rapides dans des chambres minables, d’un sex-shop louche, des rues nocturnes, des supérettes, de halls d’hôtel et d’ascenseurs. Leur errance trouvant comme un écho amplifié et nostalgique dans les flux d’images que déversent les écrans de télévision face auxquels ils échouent momentanément. Le réalisateur excelle dans la peinture de cet éclatement de la société et des êtres qui s’y débattent, égarés mais volontaires, participants accidentels d’un chassé-croisé culturel dont ils finissent par être les victimes.
Au jeu des influences possibles du metteur en scène, plusieurs noms se bousculent d’emblée : Hou Hsiao-hsien pour la thématique de l’individu face à l’Histoire, Tsai Ming-liang dans le rapport au symbole et, de façon encore plus frappante, Wong Kar-wai auquel Yu Lik Wai fait sans cesse penser au travers de sa lumière, notamment, très proche de l’éclairage au néon qui caractérisait Chungking express. Le problème du film se situe dans ce faisceau de références convergentes qui l’étouffent peu à peu. On aimerait qu’un discours et qu’une esthétique plus personnels émergent de l’ensemble. Or, il n’est que le reflet d’autres cinémas. Il suffirait pourtant d’un peu d’audace, d’un rien d’émancipation pour que Love will tear us apart trouve sa voie propre et que naisse un auteur. S’il trouve grâce à nos yeux, c’est par la hauteur de ses exigences initiales et par l’intérêt de sa démarche dramatique que la timidité de la réalisation n’entrave pas entièrement. A défaut d’un grand film, voilà donc un film sérieux qui cherche sans toujours trouver mais conserve, par-delà ses lacunes, le mérite de la quête.