Une femme qui arrive, disparaît, puis revient, voilà la trame de 30 ans. Trois décennies que Jeanne (Anne Brochet) traverse, tel un fantôme, une ombre passablement inexistante qui nourrit tous les autres personnages du film : un groupe qui gravite dans le monde du théâtre et de la communication. Aurélien (Laurent Lucas, merveilleusement pince sans rire comme à son habitude) est bouleversé par son mystère et en fait sa muse. Luis, l’exilé chilien, meurt après l’avoir aimée. Antoine, ami d’enfance d’Aurélien, ne parvient à la posséder que physiquement, et Barbara, elle, contemple en silence l’implosion que provoque le passage de Jeanne.
En filmant trois moments phares dans la vie de ce groupe d’amis, Laurent Perrin cherche à capter cet instant de l’existence où tout se fige : un métier, un amour, un lieu de vie. Après la frénésie de la post-adolescence, il faut bien choisir une voie et s’y tenir, coûte que coûte, même si comme Aurélien « on ne veut pas avancer », juste continuer. Sans surprise, mais avec une extrême justesse, Laurent Perrin et tous les comédiens qui l’entoure déroulent le fil de quelques existences. La véritable qualité de 30 ans est justement de parvenir à nous faire percevoir le passage des années, sans heurts. Cette fragilité du déroulement temporel, ce travail sur les émotions plutôt que sur les décors et les costumes permettent au film de ne pas s’engluer dans le défaut des fresques cinématographiques. On pourrait presque qualifier le travail de Perrin de pointilliste : une juxtaposition d’éléments qui font une époque sans qu’il ne soit besoin de tambour ni trompette pour la concrétiser.
Pourtant, c’est cette fragilité même qui fait que l’on n’est pas vraiment emporté par les personnages, que l’on se trouve toujours un peu en retrait, un peu timide comme Jeanne qui n’ose pénétrer le groupe, qui n’ose faire l’actrice et s’évanouit une nuit.