Peu de nouvelles nous parviennent du cinéma suédois depuis la semi-retraite d’Ingmar Bergman, figure tutélaire austère et probablement paralysante pour les jeunes générations de cinéastes nationaux. Le Festival de Rouen défriche régulièrement le terrain certes mais le travail des cinéastes contemporains issus du pays de Sjöström reste singulièrement méconnu ou suscite des échos seulement lorsqu’ils s’exilent à Hollywood ou ailleurs (Lasse Hallström, Bille August). Fucking Amal, premier long métrage d’un jeune et fort populaire poète, Lukas Moodysson, arrive en France après un phénoménal succès public en Suède et dans le reste de la Scandinavie, doublé d’une jolie carrière festivalière. Une précision s’impose d’emblée à l’adresse des âmes sensibles : Amal n’est ni le nom d’une fille, ni celui d’un garçon et encore moins celui d’un animal. Il s’agit d’une bourgade perdue et peu peuplée où les modes arrivent comme partout ailleurs mais avec un peu plus de retard. Où lorsqu’on est adolescente, on a un peu plus le temps de s’ennuyer qu’en un autre endroit. C’est le cas précisément de deux jeunes filles, âgées de quinze et seize ans : Agnes, lycéenne introvertie et rejetée par ses camarades de classe, et Erin, ravissante blonde courtisée par tous qui se dirige à toute allure vers un futur de bimbo de province. Le film s’attache à leur rencontre, à l’amour naissant de la première pour la seconde et aux difficultés éprouvées par la pin-up en devenir à assumer son attirance envers quelqu’un du même sexe.
Amitiés particulières, découvertes de sentiments marginaux, premiers baisers, conscience et peur du regard des autres, Fucking Amal ne s’éloigne guère dans sa thématique des quelques films homosexuels gay ou lesbiens qui nous sont parvenus ces dernières années (Beautiful thing, The Incredible true adventure of two girls in love, Only the brave). Tout ça n’est pas dépourvu de mérite : quitte à parfois enfoncer des portes ouvertes en proclamant le droit à la différence sexuelle. Ceci dit, le message aussi positif soit-il ne suffit pas à porter un film, surtout à l’heure où même les fictions télévisées abordent la question sans trop biaiser (voir Angela, quinze ans, Queer as folk ou sur le mode adulte Ally McBeal). Afin de conférer une identité visuelle à son projet, Lukas Moodysson s’est décidé pour un style heurté à base de zooms furieux et de gros grains. Du coup, sa Boum lesbienne louche vers le Dogme, version bibliothèque rose. Malgré ses faiblesses, ou peut-être grâce à elles, Fucking Amal reste un film sympathique, parfois mièvre, mais porté par son sujet et la fraîcheur de ses interprètes. Ce qui, en définitive, n’est déjà pas si mal…