Angela Gheorghiu (soprano), Malcolm Martineau (piano)
Angela nous embarque pour un tour du monde en vingt-cinq mélodies : l’amour, toujours l’amour, décliné en douze langues, toutes latitudes et toutes attitudes – bref, le septième ciel garanti et (presque) sans escale.
Car voilà le type-même de disque à la fois hyper jubilatoire et terriblement frustrant. Une seule raison – s’il n’y en avait qu’une – de sauter sur ce récital un peu trop, à mon goût, united colors : entendre la jeune soprano roumaine emprunter Les chemins de l’amour de Poulenc, et toutes les pages françaises chantées ici, pardon de passer en premier ! C’est d’un style, d’une élégance et d’un chic suprêmes, très esprit français justement -presque trop, parfois, quand il s’agirait d’y mettre un peu plus de piquant (ce que sait mieux faire, par exemple, la Bartoli, dans Les filles de Cadix). Et inutile que la Gheorghiu nous explique qu’elle souhaitait « donner un reflet à la fois de [sa] personnalité et de [son] existence en ce moment » : on la croit sur paroles et musique de Je te veux, nous aussi et sans réserve ! Oh! quand je dors est absolument sublime : donc, à quand un disque tout entier réservé à ce répertoire-là ?!
Mais tout cela n’est guère surprenant : pour les raisons que vous savez mieux que moi, Gheorghiu et la France, ce n’est pas une histoire qui risque de s’arrêter sitôt ; non plus que celle avec l’Italie, qu’on traverse ici en compagnie de l’incontournable Martini (un très roucoulant Piacer d’amor), mais surtout de Leoncavallo, et une version décoiffante de Mattinata. On passe aussi sur l’évidente – et superbe – étape roumaine. Non, la divine surprise vient de ces Schumann, de ce Schubert (Ständchen) et de ce Strauss (Zueignung) où l’on attendait le moins la très opératique cantatrice : si Fleming a mis Salzbourg a ses pieds, l’été dernier, dans ce répertoire-là, Angela Gheorghiu pourrait bien faire de même – pourvu seulement qu’elle s’en donne la « peine » ! (On se passera d’une Traviata ou d’une Mimi de plus, où on la connaît par coeur, pour ces Heine ou Rückert insoupçonnés : en clair, prions pour que les lois du marketing ne l’emportent pas, une fois encore, une fois de trop…)
Aussi charmants soient-ils, les deux ou trois coréo-japoniaiseries et autre standard hollywoodien (Be my love, au trait un peu forcé) déparent un peu à côté des chefs d’oeuvre déjà mentionnés. Absence étonnante (?) de la Russie dans un panorama qui sacrifie pourtant à la vocation international(ist)e de cet album, par ailleurs admirablement mené par Malcolm Martineau, qui trouve, à l’instar de sa partenaire, les couleurs et le style exacts de chaque mélodie.
Stéphane Grant