Certes, les Mélodies de Rachmaninov n’ont pas la faveur des interprètes contemporains -et il n’a peut-être pas le génie d’un Moussorgski en Russie, d’un Ravel en France, d’un Wolf en Allemagne dans le genre vocal. Ces Mélodies sont dans l’ensemble assez peu innovatrices, nous dit le texte de présentation. Ces mélodies en raseront plus d’un ; il est vrai que cette musique ne possède pas le charme suranné et épais de ses œuvres pour piano. Et pourtant. Le traitement de la voix est original, souvent le piano chante tandis que la voix se fait diseuse. L’économie musicale de ces œuvres pousse donc le chanteur à interpréter, à porter le texte au-delà de la musique. Rachmaninov avait à sa disposition un Fedor Chaliapine qui savait de toute son âme russe défendre les textes, pour la plupart de romantiques russes. La réussite de ces jeunes interprètes n’en est que plus grande. Andsnes en pianiste déjà confirmé a tout à gagner de cet enregistrement qui le place sur un nouveau terrain, celui d’accompagnateur. Kharitonov, en jeune baryton, aborde un répertoire qu’il connaît bien et évolue avec aise. Mais écoutons plutôt.
Kharitonov, dont c’est ici le premier enregistrement à notre connaissance, s’est adjoint un partenaire de luxe en la personne d’Andsnes, qui par son jeu digne et incisif, toujours juste, soutient avec bonheur la voix envoûtante du baryton. Leur récital est composé uniquement de mélodies de jeunesse. En effet, A-oo op.38 fut composée en 1916, un an avant le départ définitif de Rachmaninov pour les Etats-Unis. Les textes dont il se sert disent le plus souvent des tristesses amoureuses, la solitude, la perte. Pour cela ses moyens musicaux sont parfois flamboyants, parfois d’une simplicité étonnante, mais toujours dramatiques. Kharitonov manque peut-être parfois de chaleur, mais cela lui permet de distiller une tension, une sévérité tout à fait de rigueur. Son attention extrême au texte, à la lettre de la musique, ménage de véritables moments de bonheur, en particulier les quelques mélodies op.21 et op.26 qui sont d’une part les plus belles, et celles où Andsnes, d’une pudeur confondante, offre à Kharitonov la possibilité de chanter, de parler, de réciter, de murmurer… Boris Christoff, qui les avait fait redécouvrir (EMI), a enfin un successeur dans la discographie.