Dix ans déjà. Herbert Von Karajan, le maître absolu de l’orchestre Philharmonique de Berlin, avait 81 ans lorsque la mort le prît au milieu des Alpes autrichiennes. Tous les labels qui possèdent les droits de ses enregistrements profitent donc de l’anniversaire pour faire revivre le géant, le faiseur de tubes. C’est qu’il en a vendu, des vinyles et autres CD, propulsant Ravel ou Vivaldi à la hauteur de la pop dans le monde entier. Personne dans l’histoire n’aura dominé le marché, la vie des orchestres, avec autant d’aplomb. On a tout raconté sur sa vie, son caractère impossible, les femmes, sa mémoire unique (il dirigeait par cœur tout le Ring), ses errements politiques. Homme excessif sans doute, intransigeant, rigide parfois, coléreux, despote. Ridicule jusqu’à la pire vulgarité aussi, confondant sciences et technologie, les vacances et Saint-Tropez, la peinture et les mannequins françaises, le yoga et l’aérobic, le sport et les Porsche.
Bref, il faut écouter, rien qu’écouter l’œuvre, les 800 disques, et feindre d’ignorer ce qui pourrait définitivement nous le rendre odieux (n’oublions pas le numéro 1 607 525, celui de sa carte d’adhésion au parti nazi le 8 avril…1933).
EMI fête donc le musicien en proposant une réédition importante de sa collaboration avec le Philharmonia. Orchestre créé de toutes pièces par Walter Legge, patron tout puissant de EMI, l’ensemble avait pour ambition d’être la meilleure formation du monde. S’il n’avait pas le supplément d’âme du Berliner (que Karajan reprendra à vie en 1955) ou du Wiener, le Philharmonia est cependant très vite devenu une formation merveilleuse, démontrant que la foi de musiciens enthousiastes pouvait rivaliser avec des formations centenaires. En témoigne cette version de la Quatrième symphonie de Jean Sibelius. Toute la force originale de l’œuvre est là : les ténèbres, les textures raréfiées, la simplicité presque spirituelle du matériau musicale. On comprend l’austérité de cette symphonie en écoutant la Cinquième qui suit : invention mélodique, héroïsme. En complément de programme, Finlandia, poème symphonique emblème de toute la musique nordique, mérite à lui seul de célébrer Sibelius comme un immense compositeur… et on se mettrait presque à offrir à Karajan le pardon.