Osons. Et si les Vêpres de la Vierge était la première œuvre ouverte de l’histoire ? Bien avant le Un Coup de dé jamais n’abolira le hasard de Mallarmé. Bien avant la 3e Sonate pour piano de Boulez. En 1610, Monteverdi aurait-il déjà envisagé cela ? En effet, quelle a été la démarche qui a présidé à sa composition ? Monteverdi a-t-il composé une œuvre destinée à une liturgie déterminée ? La réponse par l’affirmative donnerait à cette musique une unité peu commune. Mais s’il avait composé un recueil de morceaux séparés et qu’il avait laissé le choix ainsi à l’interprète de recréer à chaque fois la musique ? Quelle que soit la réponse, la comparaison ne tient vraiment pas ; reconnaissons-le. Cependant, combien existent d’interprétations discographiques différentes des Vêpres ? Mentionnons les plus réussies : Savall, Christie, Jacobs, ainsi que Gardiner et Harnoncourt. Difficile de faire vraiment le tri. Face à une œuvre qui a toujours suscité la polémique, tous les grands chefs s’y sont collés.
Voilà que Garrido, fort de son Orfeo qui a fait l’unanimité et d’un Retour d’Ulysse d’une puissance dramatique inégalée, nous livre ses Vêpres. Aidé pour la réalisation musicale par le musicologue sicilien Giuseppe Collisani, il a superposé un schéma liturgique déjà existant où les antiennes (équivalent d’un refrain) sont traitées en plain-chant (musique vocale monodique) au recueil de Monteverdi (c’est pour les calés en liturgie catholique !). Il a également intégré deux motets d’un Italien de l’époque et une Sinfonia de Kapsberger. Garrido ne s’attarde pas vraiment sur ses choix mais, présomption d’innocence oblige, nous lui faisons confiance. Et qu’importe.
Garrido a parfaitement compris quel bénéfice il pouvait tirer de cette construction globale. A mi-chemin entre dramaturgie et liturgie, cette version réussit la quadrature du cercle. Intérieure et démonstrative, mystique et baroque. Cette musique marquée par la recherche du « geste », tel que le rythme et la dynamique l’expriment, possèdent une force émotionnelle incomparable. Musicalement, il y aurait tout à dire : ferveur des chanteurs et du chœur, couleurs chatoyantes et virtuosité de l’orchestre(ah ! Les Sacqueboutiers de Toulouse !), magie de la direction qui unit tout le monde dans un souffle ascensionnel. Mais tout cela n’aurait pas d’importance sans l’exceptionnelle rigueur et l’intégrité interprétative.
A l’évidence, cette musique est expressive, chargée d’éléments qui l’éloigne de la religion, mais Garrido a bien compris qu’il était en présence d’une musique cultuelle. Ce qui compte, c’est le Verbe. Or, sa fidélité au texte latin permet de donner aux Vêpres tout son sens. Ecoutez ainsi l’engagement des chanteurs, littéralement habités, qui servent cette musique. Avec Garrido, le Verbe s’est fait chair ; il s’est incarné.