« Chacune s’empare d’une adversaire, lui arrache vivante les yeux des orbites, fait inouï, a-t-on dit, dans les annales du crime, et l’assomme. Puis, à l’aide de ce qui se trouve à leur portée, marteau, pichet d’étain, couteau de cuisine, elles s’acharnent sur les corps de leurs victimes, leur écrasent la face et, dévoilant leur sexe, tailladent profondément les cuisses et les fesses de l’une, pour souiller de ce sang celles de l’autre. Elles lavent ensuite les instruments de ces rites atroces, se purifient elles-mêmes, et se couchent dans le même lit. » Voici comment Jacques Lacan décrit dans un article publié dans Le Minotaure le crime des sœurs Papin, deux servantes qui ont sauvagement assassiné leur patronne et sa fille en 1933.
Depuis, ce fait divers qui s’est déroulé dans la ville du Mans n’a cessé de captiver les foules, la psychanalyse et le monde littéraire. Son opacité -l’absence de mobile apparent-, sa violence rare ont nourri l’imaginaire de nombreux écrivains et cinéastes. Parmi eux, Jean Genet avec Les Bonnes ou plus récemment Claude Chabrol dans La Cérémonie. Deux auteurs éminemment différents mais qui ont néanmoins adopté une démarche commune : s’approprier les faits et importer le réel dans leur propre univers. Malheureusement, Jean-Pierre Denis ne possède pas cette capacité de transmutation. Son film se contente de coller à la réalité et ne modifie donc en rien l’édifice créatif qui s’est constitué depuis des décennies à partir de l’affaire Papin. Banale et pâle reconstitution d’un crime sanglant, Les Blessures assassines ne laisse cependant pas tout à fait indifférent, tout simplement parce que l’histoire de Léa et Christine Papin possède un grand pouvoir de fascination.
Plus qu’à une interprétation politico-sociale des faits -la revanche des prolétaires sur la bourgeoisie dominante et oppressante-, J.-P. Denis s’attache à la relation fusionnelle qui existait entre les deux sœurs. Il remonte aux origines mêmes de l’acte qu’il envisage avant tout comme un crime passionnel. Mère absente, travail humiliant, Christine et Léa se renferment peu à peu sur elles-mêmes et finissent par entretenir une relation incestueuse. D’une certaine façon, en adoptant cette voie autobiographique, le film « réhabilite » les deux criminelles, envisagées avant tout comme deux filles en proie à la folie, alors qu’à l’époque, elles furent considérées comme responsables par les tribunaux et que la composante sexuelle de leur relation fut totalement passée sous silence. Mais si les deux interprètes sont parfaites, en particulier Sylvie Testud, qui traduit magistralement les manifestations d’une schizophrénie rampante, la réalisation plate et impersonnelle de Jean-Pierre Denis n’est jamais à la hauteur. Plus qu’à un film, Les Blessures assassines fait songer à un luxueux téléfilm sauvé in extremis par ses deux actrices.
Notons qu’un documentaire de Claude Ventura basé sur les mêmes faits sort simultanément. En quête des sœurs Papin débute là où le film de Jean-Pierre Denis s’arrête : après le meurtre. Le film se voudrait une plongée dans l’imaginaire et les fantasmes générés par ce crime inexpliqué, mais cette tentative de raviver, près de 70 ans après les faits, une piste désespérément froide, est le plus souvent anecdotique et maniérée.