Janacek (1854-1928) sort progressivement du purgatoire dans lequel il était maintenu en France ( très beau cycle Janacek à l’Auditorium du Louvre fin 1998). Si ses œuvres de jeunesse ne sont pas toujours des plus réussies, il a composé dans les dix dernières années de sa vie quelques pièces majeures du 20e siècle : Jenufa, la Sinfonietta, ou encore les deux quatuors à cordes ( la version des Prazak est hautement recommandable). Mais il a surtout proposé une voie pour sortir du romantisme : l’expressionnisme. En effet, il s’est attaché à rétablir une vérité de l’émotion que selon lui les romantiques avaient falsifiée. Son style pourrait être défini comme étant une polyphonie des émotions (Très beau texte de Kundera sur Janacek publié en 1993). Par ailleurs, il convient pour révéler la nudité du son de ne jamais abuser d’un rubato soi-disant expressif. L’émotion (il y en a tellement) est contenue non pas uniquement dans une linéarité mais dans chaque note donnant alors une coexistence unique d’expressions, une richesse dramatique exemplaire. Sa musique apparaît marquée par le folklore morave mais surtout ( il ne faut pas réduire Janacek à un compositeur national) par une tension exceptionnelle entre les techniques de modulations et le rythme.
Ainsi sa Sonate pour violon alterne et confronte de multiples climats introduisant une instabilité, une incertitude qui ne vise pas le confort de l’auditeur. C’est pour cela que l’on peut regretter que cette interprétation soit trop lisse, trop gentille. Il suffit d’écouter celle de V. Remes (Praga) pour se rendre compte à quel point cette musique peut être poignante. Tout manque, c’est presque ennuyeux, ce n’est pas assez tranchant, ciselé. En revanche, le Capriccio est d’une autre qualité. Ici c’est une fanfare qui s’oppose au piano, piano écrit pour l’autre mutilé du bras droit avec Wittgenstein, inspirateur entre autres du concerto pour la main gauche de Ravel. Oeuvre étonnante par son harmonie et son rythme décalé, il faut découvrir (c’est en collection économique) cet ensemble mystérieux où espoir et scepticisme sont fondus l’un dans l’autre.