Bill Clinton joue du saxophone, mais visiblement, il n’aime pas la musique. Il aurait été bien inspiré d’écouter Nixon in China de John Adams. Pour comprendre l’art de la diplomatie, et savoir qu’il ne faut pas bombarder une ambassade (fût-elle dans un pays coincé entre rien et rien -c’est-à-dire chez les autres). Trop tard ? Peut-être pas. Voyons les faits : 1972. Février. Matin sec et froid sur Pékin. Richard Nixon, sa femme Pat et Henri Kissinger rendent visite à Mao et Chou En Lai. Ça se passe en famille.
L’argument du premier opéra de John Adams (né en 1947) est donc quasi contemporain, fait très rare dans toute l’histoire de l’opéra, plus habituée aux mythologies de carton-pâte. Il se passe assez peu de choses dans ce long Nixon in China (reconstitué en trois CD). Trois actes qui nous baladent à l’aérodrome avec ses bruits de moteurs d’avion, ses chants de l’armée populaire chinoise et les caméras de télévision. La chambre du peuple, les aphorismes philosophiques et blagueurs de Mao, les toasts d’honneur, la fraternité. L’excursion de madame Nixon et son petit cadeau (un éléphant en cristal).
Une représentation à l’opéra de Pékin, les Américains propulsés sur la scène de l’opéra (une idée géniale) avec Kissinger dans le rôle du méchant propriétaire et Chiang Ch’ing (la femme de Mao) encourageant les femmes (rouges) à mutiler et exécuter leurs adversaires détestés. Magnifique portrait du « monstre » de la bande des quatre. Enfin, la lassitude de chacun, désabusé, et un aria mélancolique de Chou en Lai.
Vous l’aurez compris, le livret d’Alice Goodman est un chef-d’œuvre d’ironie. Il décrit la psychologie des personnages avec minutie, les moindres détails de leur médiocrité. La musique de John Adams, par son unité tonale, son énergie rythmique, son style minimaliste, prend le parti du non-réalisme. Sans redondance. Comment décrire autrement une situation aussi complexe ? Le résultat est prodigieux, et depuis sa création en 1987 à Houston, Texas, dans la mise en scène de Peter Sellars, l’œuvre tourne un peu partout (on l’a vue à Bobigny). Et ce n’est pas fini.
Dans cinquante ou cent ans, que restera t-il du nom de Richard Nixon ? Un rôle, comme celui de Pelléas ou Rodolphe, de ténor dans l’histoire de l’opéra ?