Il est difficile d’évaluer objectivement cette intégrale. On est à la fois pris par le respect que nous inspire cette formation (et le prix défiant toute concurrence) et gêné par le sentiment partagé que nous laisse cette interprétation. Autant dire tout de suite que l’on ne joue plus du tout Schubert comme cela. Mais cet enregistrement a-t-il un autre intérêt qu’historique ?
Héritier d’une longue tradition viennoise, le quatuor s’est uniquement préoccupé de jouer le répertoire classique ignorant ainsi l’Ecole de Vienne et toute nouvelle composition pour quatuor. Ce qui les intéresse c’est Mozart, Haydn et les autres. Brahms semble le compositeur le plus contemporain pour eux. On peut donc supposer qu’ils devaient être à l’aise dans les quatuors de Schubert.
Toute sa vie Schubert a composé des quatuors (Il les a écrits de 1811 à 1826). Pour cela on peut y voir plusieurs raisons (j’en oublierai certainement). Tout d’abord, la pratique de la musique de chambre est alors particulièrement active à Vienne. Presque la moitié des quatuors ont été composés pour des soirées où des amateurs jouaient de la musique ensemble. De plus, Schubert apprécie particulièrement les quatuors de Haydn et Mozart (Beethoven n’a pas encore écrit son 11e quatuor quand Schubert se met à l’œuvre). On retrouve ainsi de nombreux clins d’œil à ceux des maîtres viennois du 18e dans ses premiers quatuors. Enfin le quatuor (et toute sa musique de chambre) apparaît comme le genre privilégié pour l’épanouissement de l’esprit du lied si cher à Schubert et seul capable de faire ressentir les émotions de l’âme. Ainsi l’intimité, mais aussi les modulations subites, les oppositions de caractère (il reste fidèle à la forme sonate), le chromatisme, les tremolos, le profond romantisme et désespoir prennent une résonance inédite dans l’histoire du quatuor.
Après ces mises au point musicologiques (très sommaires, reconnaissons-le), venons-en aux problèmes d’interprétations. Doit-on être classique et faire tourner Schubert vers le passé ou être romantique et lui donner le visage de premier compositeur romantique de musique de chambre du 19e ? Y a-t-il vraiment des humeurs dans ces quatuors ? Le Wiener Konzerthaus joue sur les deux tableaux mais pas en même temps. Les premiers quatuors sont en effet encore très classiques et parcourus d’une délicatesse polie. Evidemment, les glissendi sonnent bizarrement à nos oreilles, le son mono des années 50 n’a pas l’ampleur de la stéreo.
Pourtant, on se prend à être charmé progressivement par cette technique aristocratique et datée. C’est plus difficile pour les quatuors plus connus où on a été habitué à une tension, à une vision plus radicale des choses. La jeune fille et la mort déçoit particulièrement ainsi que le Quarterttsatz qui semble bien terne. En revanche Rosamunde et le quatuor n°15 (le dernier) surprennent. Rosamunde est joué avec cet esprit mozartien qui colle si bien à l’œuvre. Au contraire le 15e est un modèle. Avouons que l’on ne s’y attendait plus. Il est difficile de donner une note globale tant les impressions ont varié d’un quatuor à l’autre. Peut-être est-ce normal ? Certainement ne faut-il pas tout écouter d’un coup et c’est alors, notamment à l’aune du 15e, que tout s’éclaire. Le Wiener Konzerthaus ne se réduit donc pas au souvenir lié à son nom. Disons aussi qu’une intégrale satisfait rarement car il existe tellement pour chaque œuvre une version de référence qu’il est difficile de chaque fois en donner une. Rappelons simplement l’intégrale du quatuor Melos.