Le « Tout Paris » a fêté les 75 ans de György Ligeti l’an passé. Triomphe absolu pour le grand compositeur, célèbre depuis qu’il arriva de Hongrie en 1956. Pour marquer l’événement, Sony édite l’intégrale de son œuvre, explorant ainsi musique de chambre, pour orchestre et lyrique dans ses moindre opus. Quel compositeur contemporain bénéficie d’un tel honneur ? Même Luciano Bério ou Pierre Boulez -autres stars- ne peuvent prétendre à de tels honneurs… et surtout à une telle unanimité.
Enregistré en direct-live au théâtre du Châtelet, Le Grand macabre sort dans les bacs ce mois-ci. Succès considérable pour « le plus grand opéra européen depuis quarante ans » et pour son serviteur, Esa Pekka Salonen (à la tête du Philharmonia totalement prodigieux). Cet enregistrement confirme ce que nous éprouvions lors de la représentation. La remise en forme de la version originale de 1975 est un chef-d’œuvre d’humour et gagne en efficacité théâtrale. Tel Igor Stravinski en son temps, Ligeti sait reconsidérer ses propres points de vue, dépasse ses techniques déjà acquises, mais reste fidèle à ses principes esthétiques. Les personnages de sa fable sont un savant mélange de ceux d’Ubu roi de Jarry (pour la loufoquerie), de Boris Goudonov de Moussorgski (pour la mégalomanie) et du Coq d’or de Rimsky-Korsakov (pour le prophétisme).
C’est l’histoire d’un Sancho Pancha perdu dans un état imaginaire, Breughelland, ruiné et insouciant. Avec par ordre d’apparition : Nekrotzar, le grand macabre sinistre, douteux, démago, mégalo (qui veut anéantir le monde à l’aide d’une comète) ; Astradanor, le devin ; Gogo, le prince (puéril et glouton) ; les ministres corrompus (chefs des deux partis ennemis : les blancs et les noirs) ; Gepopo, chef de la police politique. S’ajoutent Amando et Amanda, Mescalina…
Vous n’avez rien compris ? Normal. C’est un opéra à la Beckett, version extravertie. Beau et baroque. A l’image de la scène finale, une Passacaille, comme celle de Didon et Enée de Purcell. Pata et métaphysique. A écouter de toute urgence. Ne chercher aucune similitude avec le monde réel. Ou alors, de simples coïncidences…