Les réfractaires au clavecin n’ont qu’à bien se tenir ! Le clavecin ne fait pas que « cling clang clong clung » et autres sons pincés désobligeants, car on peut aussi y faire varier les couleurs. Souvenons-nous entre autres du regretté Scott Ross qui nous fit aimer cet instrument, instrument qu’un Poulenc sut ressusciter dans son Concert champêtre. Voici un disque particulièrement intéressant et intelligent, son programme et son interprétation faisant référence. Lisons juste le texte écrit par Staier lui-même.
Le fandango est une danse espagnole populaire, érotique, où cependant les danseurs ne se touchent pas, qui a la particularité d’accélérer progressivement jusqu’à un tourbillon final. Rapidement cependant, le fandango séduisit la haute société, qui, en Espagne, n’avait pas entièrement succombé au style galant du pianoforte alors en vogue en Europe dans la deuxième moitié du 18e siècle, et faisait ainsi déjà preuve d’un certain nationalisme musical. L’élément instrumental de base espagnol est la guitare, et son équivalent noble le clavecin (Manuel de Falla, le compositeur espagnol du 20e, écrivit aussi pour clavecin), ce qui justifie donc ces œuvres pour cet instrument à une telle époque.
Parmi les compositeurs représentés sur ce disque, seuls Antonio « Padre » Soler (1729-1783) et Luigi Boccherini (1743-1805) ont passé les années sans véritablement disparaître des esprits. Mais quel plaisir de découvrir Sébastian de Albero (1722-1756) qui, dans ces Recercata, fuga y sonata, n’utilise pas de barres mesures, outil du classicisme et de l’esprit rationaliste qui baignait alors ce temps. Une véritable jubilation rythmique, harmonique, émane de ces pièces. Ce compositeur est d’une inventivité folle, ces fugues n’ont rien à voir avec celles, métaphysiques, de Bach. Tout cela sonne bien du son de la nouveauté. Un nom vient à la bouche à l’écoute de cette musique : Scarlatti. En effet, des influences transparaissent (Haydn, Galuppi…) dans l’écriture du clavecin, notamment à travers l’écriture contrapuntique (même si cela ne prend pas forcément le même sens que chez les maîtres allemands).
Le disque s’ouvre sur les deux fandangos célèbres : celui de Soler, qui était un des bis préférés de Scott Ross et celui de Boccherini transcrit ici pour deux clavecins et castagnettes, et, à l’origine, dernier mouvement d’un quintette qui emporte l’auditeur dans des contrées chaudes et endiablées. Ah, les castagnettes, les glissades au clavecin ! Cela fait un de ces effets.
Staier est certainement un des interprètes les plus brillants de sa génération. Maniant aussi bien le clavecin que le pianoforte (cf. ses enregistrements avec C. Prégardien dans des lieder de Schubert), il fait preuve ici d’une rigueur, d’une virtuosité qui font plaisir à entendre. On sent qu’il aime cette musique ; il a même un certain humour, humour que l’on ne trouve pas toujours chez les musiciens actuels. Son fandango de Soler n’a pas grand-chose à voir avec celui de Ross, l’emballement ici est vraiment final, il joue surtout sur les contrastes, dégageant au mieux chaque nouveau motif rythmique. Les sonates sont jouées avec un engagement, un désir de se faire entendre et reconnaître qui ne peuvent que convaincre. Tout garde pourtant une très grande maîtrise. C’est sûr, « Fantaisie est fille de rigueur ».