Le sort que le premier film de Peter O’Fallon réserve au film noir, genre cinématographique qui a donné quelques chefs-d’œuvre -de Laura à Touch of evil pour faire court- n’est guère plus enviable que celui imposé avec violence à Charlie Barrett, le parrain interprété par Christopher Walken dans Suicide kings. Kidnappé par une bande de jeunes bourgeois désœuvrés, Barrett se voit solidement attaché à un fauteuil et sommé de jouer de ses relations pour dénouer une sombre histoire d’enlèvement avec rançon qui plonge notre club des cinq costardé dans une peur panique. Détail qui ne manque pas d’intérêt pour notre propos : nos jeunes chiens fous ont sectionné un doigt au parrain ligoté et lui promettent d’autres opérations du même genre s’il manque de diligence dans le règlement de leur affaire. Le film noir, comme référence d’O’Fallon et argument de vente de son film -avec Walken en guise de marque déposée-, est traité de la même manière : kidnappés par des scénaristes paresseux, le genre et ses codes ne sont convoqués ici que pour donner un coup de main à une histoire poussive et des personnages-gadgets. Le doigt sectionné de Barrett, et baigné dans le formol, figure assez bien la mutilation irresponsable du genre et sa conservation artificielle sous la forme de gimmicks et de tics. Bref, ils n’ont rien retenu de la leçon des maîtres.
Suicide kings est un cas d’école. Il cumule tous les défauts des « faiseurs » hollywoodiens qui cherchent à capter quelques gouttes de la vague stimulante représentée par les frères Coen ou Quentin Tarantino. Le film d’O’Fallon lorgne ainsi du côté de Fargo pour le scénario, de Pulp fiction pour les dialogues, et se paie le luxe de convier Christopher Walken à cette mascarade comme si sa confrontation avec ce casting imberbe pouvait offrir autre chose que le spectacle d’un produit fabriqué, formaté. Comme dans une rédaction de dernier de la classe, on y trouve les tentatives manquées pour s’approcher d’une syntaxe qu’on sait juste mais qu’on est incapable de reproduire : ainsi, les conversations sur les sujets anodins -ici, sur des bottines en squale- reprises de Tarantino tombent à plat ; trop lâchement placées, elles ne font pas corps avec l’ensemble du film. La séquence « seventies » est peut-être la plus consternante : elle montre un Walken en cheveux longs et lunettes noires qui règle son compte à un mac patibulaire dans une boîte hurlant de la disco. Le second degré, voilà l’ennemi. Quant aux accrochages imbéciles entre deux truands qui se menacent bras tendus avec un pistolet au bout, ils sont devenus une figure tellement obligée du cinéma actuel qu’on en vient à espérer qu’un cinéaste iconoclaste la choisisse comme unique sujet de film pour en faire les variations les plus diverses : on pourrait ainsi permuter à l’infini les objets qui se trouvent au bout du bras -banane, parapluie, chausson aux pommes, portable, etc. Enfin un sujet intéressant.