Oeuvre la plus ambitieuse à ce jour de Dario Argento, Le Fantôme de l’opéra ne peut que décevoir les admirateurs de Suspiria ou même du tout récent Syndrome de Stendhal. Adapté du fameux roman de Gaston Leroux, le récit prend place à l’Opéra de Paris, où Christine Daaé (Asia Argento), une jeune soprano, est fascinée par le Fantôme (Julian Sands), étrange individu qui hante les lieux depuis sa naissance et tue ceux qui s’approchent trop près de son repaire. Tiraillée entre sa relation morbide avec ce dernier et l’amour qui l’unit au beau Raoul De Chagny (Andrea Di Stefano), Christine est entraînée par le Fantôme dans un monde à la fois sombre et charnel… Dès les premiers plans, le cinéaste italien paraît encombré par tout l’aspect « reconstitution historique » inhérent au film. Le trop-plein de costumes et de décors censés crédibiliser l’entreprise ne parviennent qu’à rendre empesée, voire académique (un comble !) la mise en scène d’Argento, alors que celle-ci s’est toujours caractérisée par une virtuosité et une fluidité étonnantes. Comme l’a justement remarqué Jean-François Rauger (dans son texte présentant la rétrospective du maître à la Cinémathèque), l’univers d’Argento est de plus en plus inspiré par le conte de fées. Le Fantôme de l’opéra se focalise à partir de là sur une palette thématique classique : lutte permanente entre le Bien et le Mal, entre l’Ombre et la Lumière ; réalité et fantasmes étroitement liés, omniprésence du sordide et du Monstrueux. Pourquoi pas ? Phenomena se rapprochait de ces notions tout en réservant de grands moments de lyrisme horrifique.
Or, ici, les fantasmes sont ridicules (voir la scène sur le toit, assez inquiétante quant à l’inspiration actuelle d’Argento), les monstres grotesques (les créatures des bas-fonds avec leur machine à aspirer les rats sont d’un goût douteux) et la cruauté désespérément absente (les meurtres sublimés d’autrefois sont désormais prévisibles et laborieux). Quant au jeu des acteurs, il est souvent pénible : tous sont désespérément insipides, et en premier lieu l’atroce Julian Sands, dont le charisme (indispensable au rôle) frôle le néant. Mais cela n’a rien d’étonnant : Argento a toujours très mal choisi ses interprètes masculins, et n’a jamais su les magnifier, contrairement à ses héroïnes. Car Asia Argento parvient tout de même à être éblouissante, et à sauver une partie des meubles. On remarquera à ce propos que les scènes d’amour chez le réalisateur n’ont jamais été aussi explicites que dans ce film, comme si la présence de sa fille avait ôté à Argento l’inhibition qui le distinguait auparavant dans ce type de séquences (même si Le Syndrome de Stendhal œuvrait déjà dans cette voie). Espérons maintenant qu’Asia fasse très vite retrouver à son père l’inspiration qui a forgé sa légende…