Le hall du Grand Rex baigne dans une irréelle ambiance de première, mêlant jet-set et anonymes, toutes générations confondues. Excitation et glamour. Amanda Lear pourrait tranquillement promener sa panthère noire sans créer d’émeutes. La soirée promet. Elle dépassera toutes les espérances. Après une entrée en scène au compte-gouttes (d’abord la harpe, puis les cordes -très sexy- et enfin le jazz band), le groupe se lance dans The Way you look tonight, standard 30’s. « Some day, when i’m awf’ly low »… dès les premiers mots, Bryan Ferry se place au-dessus de la mêlée. Son étrange voix flûtée est sidérante et inégalable. Il ne cesse de sourire, décontracté et complètement sûr de son coup. Il bouge lentement, sans aucun maniérisme comme on le dit trop souvent, juste naturel et classe.
Après quelques merveilles jazz, the great Ferry ouvre le grand livre de Roxy Music. Même les fans hardcore, ceux qui ne jurent que par la période Eno, en restent bouche bée. Les musiciens entament Out of the blue, extrait de Country life. Et c’est ici que les eaux se séparent ; c’est à cet instant que les couinements d’un David Byrne (que l’on compare régulièrement à Ferry) semblent insupportables et dénués de sens ; que le parcours sans faute de Bowie paraît irrémédiablement plat et terne. Bryan Ferry s’est déplacé à Paris avec le mythe Roxy au revers du smoking, certes, mais également avec sa décennie 80 peu glorieuse. Pas de vraies légendes sans fêlures. Et ce soir, le crooner, porté par des violons romantiques, transcende toute sa carrière. Il chante Casanova (décidément Country life a vraiment de la gueule) et offre Sunset.
Avant une première pause, Bryan Ferry s’installe au piano. « I want to be alone, just me and myself […] no backstreet woman, no grand hotel. » Inutile de chercher à expliquer ce qui se passe pendant ces quelques phrases. Cela n’arrive que dans deux ou trois concerts, tous les dix ans. Le Ferry’s band aurait pu en rester là mais il reviendra. Pour livrer des versions fabuleuses d’Avalon ou de Let’s stick together devant une salle désormais debout et en feu, tout comme les troublantes jeunes filles de la section de cordes. Love is the drug suivra et même Do the strand ou l’on apprend que Louis XVI ne crachait pas sur un bon twist. Bryan Ferry conclut la soirée sur As time goes by. On aurait pu réclamer des rappels toute la nuit jusqu’au premier métro mais il faut savoir partir en homme de goût. Concert de l’année, assurément, très chère.