Aborder aujourd’hui le thème de l’enfance dans une exposition d’art contemporain n’a rien d’une lubie ; l’enfant s’étant en effet peu à peu placé au cœur de bien des domaines. Comme le remarque Bernard Marcadé dans le catalogue (édité par la RMN et le musée de l’Objet) : le XXe siècle est « à la fois celui de l’enfant et de l’atome ». Remonter aux origines afin de mieux comprendre ce qui nous entoure reste certainement le credo de ce siècle finissant, de la psychanalyse à la science. Rien d’étonnant donc que l’artiste, véritable éponge du monde qui l’entoure, voire précurseur, s’engage dans cette vaste problématique d’un âge premier.
Si on est bien d’accord sur la place de l’enfance dans le monde actuel et (donc) dans l’art actuel, en revanche, on reste assez sceptique quant à l’exposition elle-même. Elle semble lointaine, abordant des thèmes qui ne touchent pas, que l’on n’entend pas. Reprenons donc depuis le début, puisque après tout c’est là une pratique très actuelle, et revenons au titre : Présumés innocents. L’enfance n’est plus ce moment privilégié, jalousement protégé par une mémoire trompeuse -seuls les bons souvenirs restent. L’enfant est le commencement de l’Homme et, par conséquent, l’antichambre de la culpabilité, même toute petite, juste en opposition à l’immaculée innocence. De cet état en transit, on ne peut assurer la candeur. Voilà à peu près le postulat de départ considéré par les commissaires, Marie-Laure Bernadac et Stéphanie Moisdon-Tremblay… auquel le visiteur n’est pas forcément préparé. Ce dernier se sent agressé par nombre d’œuvres alors qu’il dit certainement les mêmes choses, dénonce les mêmes violences, a connu à peu près les mêmes troubles dans l’enfance puis dans l’adolescence, que les artistes qui exposent. Au fond, il semblerait que chacun se croise avec à peu près les mêmes choses à dire sans vraiment se comprendre.
Il est difficile de savoir exactement ce qui ne fonctionne pas ; est-ce les thèmes abordés qui, rattachés à l’enfance, restent inévitablement tabous ? A moins qu’il ne faille y voir une lassitude du public face à une certaine complaisance des artistes à se regarder le nombril -depuis maintenant de longues années- sans jamais s’en lasser et en s’attachant à n’omettre, en plus de ce fabuleux nombril, aucune partie de leur corps. Car l’art actuel reste décidément très porté sur la représentation du corps et dans le cas précis de cette exposition, ça peut ne plus passer du tout (toujours les tabous liés à l’enfance). A cela s’ajoute un problème d’ordre scénographique : Présumés innocents s’ouvre sur un vaste espace ménageant un savant pêle-mêle de créations, telle la chambre d’un enfant qui n’aurait pas rangé ses jouets. Pris d’un léger vent de panique -que les parents doivent bien connaître-, on ne sait déjà plus très bien où donner de la tête.
Reprendre son souffle, garder son sang-froid, quelques repères bien stables ne tardent pas à apparaître. Alors, rassuré par la présence d’œuvres d’Annette Messager ou de Christian Boltanski, on saura se frayer un chemin plus familier, mieux balisé, favorisant la réception des pièces.