Au spectacle des facéties surjouées de Depardieu qui ouvrent cette nouvelle comédie de Francis Veber -l’air ahuri et la moue d’Obélix sont devenus en dix ans la signature inimitable du « monstre sacré » quand il cherche à faire rire-, on se disait que rien n’était moins simple que de commencer une comédie : il faut trouver une situation cocasse, qui accroche d’emblée le spectateur et engage l’avenir des personnages. C’est la fameuse scène d’exposition. Il y faut du rythme et du débit. On jette au panier un scénario de comédie qui démarre mou. Veber, scénariste admiré et primé, connaît cela par coeur. Il sait par exemple qu’être original ne compte pas ; au contraire, le public doit savoir ce qu’il va voir. Avec le temps, l’absence de surprise est devenu la qualité première des comédies françaises. D’où le succès inouï des suites (La Vérité si je mens, Astérix…). La comédie embraye sur les rires préenregistrés devant la télévision ou devant les succès déjà vus au cinéma. C’est peu de dire que Tais-toi manque d’invention. Veber y reprend la recette qui lui a valu notre gratitude d’adolescent, quand nous étions mal dégrossis et que nous riions bêtement (mais j’entends déjà « il n’y a que des sots rires » fin de citation) devant le gag des cravates à la moutarde ou la leçon des coups de boule dans Les Compères. La scène d’exposition donc : un hold-up raté par un bandit d’occasion. Du jamais vu. La nouveauté : l’euro remplace l’ancien franc.
Tais-toi invite donc à un exercice de nostalgie : qu’est-ce qui a changé depuis La Chèvre et Les Compères ? Que devient Corinne Charby ? Et la musique de Vladimir Kosma qu’on se surprend parfois à siffler au supermarché ? (ce qui ne sera pas le cas de celle de Marco Prince, aussi rythmée qu’illisible). Le changement le plus considérable concerne bien sûr l’interprète-fétiche de Francis Veber, l’acteur le plus vu sur le petit écran la semaine dernière : Pierre Richard qui a déjà écrit ses mémoires. Cela restera une énigme, ce remplacement de Richard en Depardieu pour le rôle de l’éternel benêt chez Veber. En vingt ans, Depardieu est passé du Perrin sûr de lui de La Chèvre au Quentin nigaud de Tais-toi. Reno a pris le rôle du costaud. Pierre Richard n’étant plus du voyage, la question est : pourquoi Depardieu vieux peut-il endosser le rôle du nigaud et plus Pierre Richard, ce grand blond éternel (c’est-à-dire sans âge) ?
Pour en revenir au fond de Tais-toi, il est un peu une synthèse de l’oeuvre de Veber : le gros du film repose donc sur l’hypothèse du duo impossible (l’emmerdeur et l’emmerdé), en cavale sur fond d’intrigue policière, le réalisateur mâtinant cette insolite association de malfaiteurs de quelques thèmes en vogue traités dans Le Dîner de cons et Le Placard : « Quentin de Montargis » est un cousin proche du Villeret du premier ; quant à la relation entre Reno et Depardieu, elle prend explicitement dans le film l’allure d’un Pacs en formation qui rappelle la maladroite et parfois carrément grossière approche de l’homosexualité qui a fait le succès du second. Une comédie à voir en famille. Ou jamais.