Jochen Gerz vient tous les jours en anonyme vérifier le bon fonctionnement de son installation de l’abribus sur le parvis de Notre-Dame. Il encourage l’équipe constituée de SDF et quelques étudiants, présente de 10h à 19h pour distribuer tracts et cartes postales et expliquer le but de son installation. Il recueille les réactions et les critiques des passants comme un baromètre social. Beaucoup en effet disent qu’il y a quelque chose de choquant à mettre en scène des SDF et à réutiliser le thème de leur réinsertion dans un dispositif dit artistique. Derrière ces réactions, souvent violentes, n’y a-t-il pas l’idée que la misère doit rester l’apanage des cars du Samu ou des services sociaux pour lesquels l’Etat dépense bien assez ?
Refouler la proposition des Mots de Paris ne témoigne pas en effet d’une prise de position politique ni d’un goût esthétique réellement formé, mais répète précisément le même rejet quotidien du quidam pour le clochard du métro ou la misère qui hurle sous ses yeux. Pourquoi tant de réticences des Parisiens à un tel projet ? Il arrive plus fréquemment aux touristes de s’arrêter et de glisser une petite pièce dans la fente créée à cet effet. D’ailleurs, on leur dit que si la pièce de monnaie roule jusqu’en bas du réceptacle (le plan est légèrement incliné), le vœu sera exaucé, comme quand on jette une pièce dans les fontaines. Pourquoi les citadins ont-ils le sentiment (très fort) de se faire avoir ?
La combinaison de l’abribus, comme mobilier urbain, et de cette longue stèle en verre, mobilier sans autre fonction que celle de réceptacle pour l’argent, ajoute quelque chose de totalement inhabituel à l’installation classique. Ils appellent ça « une ambassade des gens de la rue ». On est un peu déstabilisé face à ce type d’intervention, comme si, au fond, le déroulement interne de la performance agissait, à la manière d’une société secrète, dans des limites très précises, fixées à l’avance par la mise en scène.
Où passe l’argent ? Quel est cet artiste si soucieux du bien-être de la population ? Les réactions ne cessent de fuser dans le même sens et sont des sortes de tentative d’auto-anesthésie face au dédoublement du théâtre social qui se déroule sous nos yeux.
Faut-il s’interroger sur le sens des précédentes interventions de Gerz dans l’espace public pour comprendre le sens de celle-ci ? Le monument contre le fascisme à Hambourg puis le monument invisible de Sarrebruck, ou plus récemment Les Témoins de Cahors, pour ne citer qu’elles, délimitent bien la problématique : du fascisme, de la mémoire. Celle de l’exclusion proprement dite est assez nouvelle. Cette fois Gerz a pris un engagement auprès de l’association Aux Captifs La Libération. Est-ce qu’il a bien eu raison avec cette dernière tentative artistique ? Pourra y répondre celui qui dira si Guy Debord eut tort ou raison de penser la société du spectacle !