Pour cette troisième soirée des « Séances d’écoute », les programmateurs du Métafort ont jugé bon de faire appel aux organisateurs des rendez-vous bruitistes du Büro (dont les deux membres de Sister Iodine). Toujours aussi soucieux de faire découvrir au public le meilleur de la scène expérimentale actuelle, ces deux associations nous ont donc offert ce soir-là un programme de choix. Pour ne plus avoir peur du silence…
« Néo-kraftwerkiens » par leur attitude scénique (quatre personnes assises devant leurs ordinateurs, comment peut-on aller plus loin ?), les membres de Tone Rec se sont installés face aux machines pour faire partir leur boucles progressivement. Au-delà de la forme, c’est surtout la texture des sons qui fait la richesse -ou la pauvreté, vu le minimalisme donné à entendre- de la musique du groupe : accidents électroacoustiques, imperfections sonores, saturations numériques… Toute une série de petits détails, constituant d’ordinaire les anomalies des paysages sonores informatiques et électroniques, organisés ici en d’hypnotisantes boucles répétitives… Par moments, quelques mélodies émergent pour s’accoupler aux défectuosités sonores déjà présentes, et les mettre alors encore plus en valeur… En laissant la libre parole aux machines, Tone Rec nous permet une autre approche de ce qui -dans un contexte plus habituel- est instinctivement considéré comme nuisance, impureté…
Juste avant la fin du petit entracte traditionnel des séances d’écoute, Marcus Schmickler a profité du silence de la salle encore dépeuplée pour sortir ses premiers sons. Dans un calme plat, ce dernier a libéré de sa machine quelques légères ondes révélatrices des étranges phénomènes sonores qui suivirent… Après avoir fait durer ces nappes apaisantes, le jeune musicien y a alors introduit quelques sons plus graveleux… C’est en fait à partir du moment où l’auditeur trouve son confort et s’installe dans les ambiances que Schmickler le déstabilise par l’apport de nouvelles sonorités… Au bout d’une quinzaine de minutes, impossible alors de faire la part des choses : les bruits sont indiscernables et se confondent… Envoûtés par des vagues de plus en plus fortes, les spectateurs immobiles (certains se sont allongés) recherchent désespérément quelques points de repères auxquels se rattacher… Mais ce que le musicien nous fait alors entendre n’est plus possible à cerner : certains sons venant juste d’arriver paraissent être là depuis des heures, d’autres se font juste remarquer alors qu’ils sont présents depuis bien longtemps… Au final, même le silence paraît déstabilisant…
Pour la dernière partie de la soirée, Russel Haswell (connu pour ses collaborations avec Merzbow) est venu nous achever en beauté. Maniant ses platines CDR, minidisc (pour diffuser du boucan préenregistré) et autres brise-tympans électroniques, ce jeune Anglais s’est lancé dans un long mix d’une brutalité inoubliable. Afin d’être extrême, autant ne pas lésiner sur les moyens : en plus du (très) haut volume de diffusion et de la violence des échantillons utilisés, la vitesse d’enchaînement du DJ a rendu son mix incroyablement bestial. Durant ce recyclage de toute forme d’agression sonore connue à ce jour (machines, hurlements, extraits de death metal, et j’en passe…), Haswell s’est permis par moments quelques petites touches d’humour. Ce qui nous a donné droit à quelques courts intermèdes de techno kitsch ringarde, ou encore à un morceau de death metal passé à très bas niveau (entre deux passages d’ultraviolence, un gag non ?).
Une fois le set terminé, certains restent paralysés. Les spectateurs se taisent et savourent un silence que tous croyaient perdu à jamais… Chacun reprend conscience, lentement, et constate alors que le fou furieux est parti, qu’il ne sévira plus. Quelques personnes se lèvent alors pour aller sur scène, et examiner le matériel encore bouillonnant du sieur Haswell. Bien qu’aucune parole ne fut prononcée, on pouvait lire la même question dans le regard de chacun : mais comment un être humain peut-il produire autant de bruit ?
Prochain rendez-vous des séances d’écoute, le 23 novembre pour David Linton et Hahn Rowe.
Espace Jean Renaudie
30, rue Lopez et Jules Martin
Métro Fort d’Aubervilliers